Second souffle

Nouvelle donne : en 1961, un tournant se prenait à Bayreuth, Wieland laissait le Ring à Wolfgang, Rudolf Kempe imposait son orchestre marmoréen, objectif, presque froid, loin des humanités de Knappertsbuch et de Keiberth et refusant aussi la lumineuse incandescence si futuriste de Clemens Krauss (Pierre Boulez lui ne l’oubliera pas), les équipes changeaient, le règne de Nilsson commençait, Windgassen échangeait Siegfried contre Siegmund.

En 1961, plus encore que durant l’été précédent, c’est l’empreinte de Rudolf Kempe qui s’imprime partout, temps long dès le Rheingold, maîtrise de l’architecture, glacis d’un orchestre par strates ; depuis son Ring de Covent Garden 1957, il avait imposé sa battue imperturbable, mais quelques nouveaux venus le bousculent : la Fricka furibonde de Regina Resnik qui incendie sa scène au Rheingold, la sensualité dorée de la Sieglinde de Crespin (sa plus belle car sa plus libre), le Wotan âpre et noble de Jerome Hines qui ose plus encore qu’en 1960 imposer ses récits libres.

La méthode Kempe parvient à ses fins dans un Götterdämmerung d’une noirceur radicale où le diamant brut de Birgit Nilsson semble épuiser par sa perfection tous les défis de Wagner, mais la Brünnhilde de Walküre est plus insensée encore, et c’est Astrid Varnay qui l’enflamme : il faut l’entendre à l’Acte III face à Jerome Hines : simplement immense d’humanité.

Une merveille dans ce Ring, et qu’il faut saisir ici : dans Siegfried, le Wanderer de James Milligan, baryton-basse canadien, voix sublime, acteur génial. Quelques mois plus tard, son cœur lâchait, nous privant de son Wotan que Bayreuth espérait.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Wagner (1813-1883)
Der Ring des Niebelungen, WWV 86

Astrid Varnay, soprano
Birgit Nilsson, soprano
Régine Crespin, soprano
Regina Resnik, mezzo-soprano
Grace Hoffmann, mezzo-soprano
Marga Höffgen, contralto
Hans Hopf, tenor
Gerhard Stolze, ténor
Fritz Uhl, ténor
Thomas Stewart, baryton
Gottlob Frick, basse
Jerome Hines, basse

Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
Rudolf Kempe, direction
Enregistré à Bayreuth en 1961

Un coffret de 13 CD du label Orfeo C928613Y
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Photo à la une : © DR

L’œuvre au noir

Deux violonistes hantèrent le Premier Concerto de Chostakovitch, David Oistrakh et Leonid Kogan. Le premier y conduisait une réflexion quasi philosophique, y chantait une prière dans la nuit dont Chostakovitch aimait les inflexions juives, le ton biblique dont le grand Nocturne se trouvait saturé. Leonid Kogan jouait âpre Continuer la lecture de L’œuvre au noir

Sonates sérieuses

Un violoncelle ? Un baryton. Daniel Müller-Schott chante dès l’Allegro non troppo de la Sonate en mi mineur, ce psaume que Brahms semble avoir écrit d’un seul trait. Ce n’est pas du violoncelle qu’il joue, mais comme au travers de sa grande caisse le chant du baryton ardent et sombre des Quatre chants sérieux ou celui du Requiem allemand. Et si ces Sonates portaient elles aussi la parole de l’Ecclésiaste ?

Ces deux opus, beaux comme des promenades d’automne, auront souvent montré seulement leurs décors, le piano peignant les arrière-plans. Or, Francesco Piemontesi parle ici autant que Daniel Müller-Schott, chante avec lui, cette manière s’était un peu perdue depuis le temps des grands anciens, les deux Rudolf, Firkušný, Serkin surtout. Seul, plus près de nous, Michel Dalberto avait retrouvé cette présence pour un de ses disques les moins connus. Le ton est encore plus ardent dans le fa majeur de la Deuxième Sonate dont l’appassionato fulgure, déclame, vraie parole qui flamboie par-delà la mélodie même, et la pure beauté de tout cela, les inflexions, les replis, les grondements, les foucades du piano saisissent cette partition tempétueuse.

Entre ces deux mondes, un troisième, soudain délivré de toute gravité : les paysages arcadiens de la Sonate pour violon en sol majeur virent au ré dans l’archet lyrique de Daniel Müller-Schott, le piano de Francesco Piemontesi se fait orchestre, et cette échappée belle prodigieuse me fait regretter que les deux amis n’aient pas complété leur album avec les deux autres sonates de violon et quelques Lieder. Demain peut-être ?

LE DISQUE DU JOUR


Johannes Brahms
(1833-1897)
Sonate pour violoncelle et piano No. 1 en mi mineur,
Op. 38

Sonate pour violon et piano No. 1 en ré majeur, Op. 78 « Regen » (arr. pour violoncelle : Müller-Schott)
Sonate pour violoncelle et piano No. 2 en fa majeur,
Op. 99

Daniel Müller-Schott, violoncelle
Francesco Piemontesi, piano

Un album du label Orfeo C979201
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Photo à la une : le violoncelliste Daniel Müller-Schott – Photo : © DR

Grand Fauré

La première page de la Ballade m’a cueilli à froid : ce chant non legato à la main droite, qui espère trouver la grande ligne vocale dans le balancement de barcarolle de la main gauche, m’a rebuté, où avais-je fourré la partition ?, qui avait raison ?, mon souvenir de tant d’interprètes de Fauré qui liaient, ou Fauré lui-même ? Continuer la lecture de Grand Fauré