Danse funèbre

Que l’on ne croit pas le titre de ce papier. L’œuvre la plus ouvertement noire de ce disque que l’on classera à Ravel est emporté dans un clavier absolument solaire, dont les vertiges érotiques, les grands gestes d’un piano absolument orchestral Continuer la lecture de Danse funèbre

Persistance de Vienne

Dans sa pertinente note d’intention en forme d’entretien, Jonathan Berman analyse avec autant de finesse que de clairvoyance ce qui fait la singularité de l’orchestre de Franz Schmidt, compositeur génial dont Gustav Mahler vantait l’art, violoncelliste au sein des Wiener Philharmoniker, auteur de quatre symphonies où se résume toute cette Vienne issue de Bruckner qu’aura séduit le triumvirat SchönbergBergWebern sans pourtant l’enivrer.

Les trois Modernes furent Viennois en quelque sorte dans les limites du Ring, des visionnaires d’autres mondes reclus dans le sein d’un univers déjà mort. Franz Schmidt est l’ultime musicien de l’Empire, un génie des « marches », pour lui celle très proche de Presbourg (Bratislava, une petite heure de voiture dont le Rideau de fer fit longtemps une éternité), cette Slovaquie qui était alors un prolongement de Vienne, mais déjà un ailleurs. Son condisciple Ernő Dohnányi, choisira Budapest, et la scission plutôt que la Sécession. Franz Schmidt regagnera Vienne, s’immergeant dans les fantômes d’une époque qu’il sera l’ultime à faire revivre.

Toutes ses symphonies ne sont-elles pas des songes éveillés, même dans leurs éclats ? La Deuxième est un hymne solaire empli de danses, d’une science d’orchestre qui pour la palette n’a rien à envier à celle de Joseph Marx, mais dont la maîtrise polyphonique est tout autre. Comme Bruckner, Schmidt fut aussi organiste, certes laïc, mais comment ne pas entendre dans son orchestre les complexités harmoniques et la variété des jeux des grands orgues romantiques ?

Jonathan Berman confie avoir découvert l’univers de Schmidt par le microsillon archétypal de Zubin Mehta et des Wiener Philharmoniker : l’orchestre, dans une époque où il rechignait au « Mahler revival », y chantait dans son arbre généalogique avec tant de douleur – l’œuvre est un requiem pour la fille du compositeur – et de plaisir à la fois. Ils étaient chez eux.

Les Gallois y sont-ils ? Oui, avec des prudences parfois, mais une telle intelligence de cette musique qu’on tient probablement là le cycle le plus pertinent consacré à ce quatuor de chefs-d’œuvre, et quelle Quatrième Symphonie douce-amère, quelle coda du Finale de la Deuxième, quelle science dans ses Variations, quelle inspiration au long des Langsam et des Adagios, quel geste enflammé pour la Première !

Vous pourrez apprendre en confiance les quatre opus dans la gravure impeccable de Paavo Järvi et des Francfortois (Deutsche Grammophon), vous enivrer à la 2e selon Neeme Järvi à Chicago (Chandos), chercher le rare enregistrement slovaque de la Troisième selon Libor Pešek (Supraphon), revenir à la Quatrième dévastatrice (pour moi définitive, je songe toujours en l’entendant à cette autre symphonie-requiem qu’est l’Asrael de Josef Suk) de Yakov Kreizberg (Pentatone), où à celles, historiques et viennoises, de Rudolf Moralt (Forgotten Records) puis de Metha, mais vous tiendrez ici tout l’univers Schmidt, ambivalent, solaire, funèbre, mystérieux, immortel.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schmidt (1874-1939)
Symphonie No. 1 en mi majeur
Symphonie No. 2 en mi bémol majeur
Symphonie No. 3 en la majeur
Symphonie No. 4 en ut majeur
Notre Dame, Op. 2 (2 extraits
orchestraux : Musique de carnaval, Intermezzo)

BBC National Orchestra of Wales
Jonathan Berman, direction

Un coffret de 4 CD du label Accentus Music ACC80544
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Photo à la une : le chef d’orchestre Jonathan Berman, durant les sessions d’enregistrement – Photo : © Accentus Music

L’inventeur de Cleveland

Lorsqu’Artur Rodziński éveilla du long sommeil où l’avait plongé son excellent (et fondateur, en 1918) chef historique, Nikolai Sokoloff, les mélomanes de Cleveland n’en crurent pas leurs oreilles Continuer la lecture de L’inventeur de Cleveland

Les La mineur

Les esprits chagrins maugréent devant le couplage classique des deux concertos romantiques en la mineur, pour moi c’est une madeleine, Geza Anda, les Berliner Philharmoniker, Rafael Kubelik furent mes premiers et dans la mémoire de bien des discophiles, les deux opus sont devenus indissociables, l’un éclairant l’autre, disposés chacun à l’alpha et à l’oméga de l’apogée du Romantisme.

Elisabeth Leonskaja ne craint pas de les réunir à nouveau, les différenciant avec art malgré l’unité de style qu’elle y met. Son Schumann ne refuse pas les élans, et dans le corps des accords, dans ce grand piano passent plus d’une fois l’ombre, et surtout la plénitude de Brahms, dont elle fut au sommet de son art une interprète majeure des Concertos. Grand jeu, grand style, sans une once d’atermoiement, mais avec un lyrisme qui s’affirme dans une cadence d’une maîtrise bluffante. Les Lucernois sont à son diapason, épiques, concentrés, mariant idéalement leurs timbres sombres à ceux si boisés d’un admirable piano hélas non documenté.

Pas un gramme de sentiment dans le Grieg, que tant auront pris en dessous de son espressivo empli de paysages, n’y entendant pas la grande ballade épique que la pianiste y magnifie dans l’ampleur de ses phrasés, le jeu altier, une sorte de sévérité sans raideur qui fait chanter l’Allegro molto de l’intérieur et donnera au Finale son ton de grand caprice un peu fantasque, sans jamais que rien n’y racole, d’autant que les timbres opulents des souffleurs et le geste sans rubato du chef le font avancer droit.

Le plus beau moment du disque ? L’Adagio du Grieg, rêve éveillé d’une limpidité hypnotique, où tout l’art de cette pianiste pour les pianistes paraît.

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann
(1810-1856)
Concerto pour piano et orchestre en la mineur, Op. 54
Edvard Grieg (1843-1907)
Concerto pour piano et orchestre en la mineur, Op. 16

Elisabeth Leonskaja, piano
Luzerner Sinfonieorchester
Michael Sanderling, direction

Un album du label Warner 5954197837838
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Photo à la une : la pianiste Elisabeth Leonskaja – Photo : © Marco Borggreve

Violoncelles de France

Bruno Philippe se serait-il souvenu du mot de Colette disant que le violoncelle de Pierre Fournier chantait mieux que tout ce qui chante ? Chez Fauré, il n’ira pas aux ténèbres des Sonates, mais à trois mélodies dont son archet n’ôte pas totalement les mots Continuer la lecture de Violoncelles de France