L’inventeur de Cleveland

Lorsqu’Artur Rodziński éveilla du long sommeil où l’avait plongé son excellent (et fondateur, en 1918) chef historique, Nikolai Sokoloff, les mélomanes de Cleveland n’en crurent pas leurs oreilles. Cette folle virtuosité, ces pupitres qui attaquent, cette fantaisie débridée qu’ardaient des tempos fulgurants, les projetaient dans un tout nouveau monde sonore où passait le souvenir de la baguette irascible d’Arturo Toscanini pour lequel le chef polonais avait assemblé l’Orchestre de la NBC.

Reconnaissant, Toscanini lui cédera son podium du New York Philharmonic, mais pour autant Rodziński ne quitta pas Cleveland, qu’il forma prestement à son goût, s’adjoignant des super-solistes propres à imposer cette discipline de fer pupitre par pupitre.

Que le board du New York Philharmonic lui préféra finalement Barbirolli l’agaça, colérique comme il savait l’être. Peu importe, il avait son orchestre à Cleveland, lui adjoindrait des saisons d’opéras fastueuses, il était maître chez lui en Ohio, et Columbia allait l’enregistrer dans les conditions techniques optimales que les derniers raffinements de l’enregistrement électrique autorisaient, tout ce qu’il désirait, le grand répertoire russe d’abord qui était sa prédilection, à commencer par cette Cinquième Symphonie de Chostakovitch qui était devenue son emblème sonore, avec son Finale aveuglant.

Au sommet, une Schéhérazade de pur théâtre avec le violon charmeur et téméraire de Joseph Fuchs. Mais dans ce Midwest peu enclin aux Modernes, il imposera, concerts et disques, la 5e Symphonie de Sibelius, le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg ou celui de Schöenberg, y invitant Louis Krasner, et tant d’autres.

Ses albums de Cleveland auront souffert d’éditions 78 tours de piètre qualité, qui faisaient rager Rodziński si féru de disques et de « hi-fi ». S’il avait pu entendre le fantastique travail de restitution sonore effectué ici par Nancy Conforti d’après les matrices originales, il aurait été aux anges ! Et dire que son fils Richard, qui fit tant pour la mémoire de son père, n’aura pas eu le temps de voir la résurrection de ces gravures devenues de son vivant des incunables !

Commencez par le disque Richard Strauss, ce Till Eulenspiegel qui met le monde cul par-dessus tête (l’impression même de Debussy assistant à la création parisienne de l’œuvre par Gabriel Pierné), cette Danse des sept voiles de Salomé déjà cruelle, ces Valses du Rosenkavalier ! Et dire que tout l’opéra existe quelque part dans les archives, capté au Severance Hall en 1935, avec la Marschallin de Lotte Lehmann et l’Ochs d’Emanuel List.

LE DISQUE DU JOUR

Artur Rodziński
&
The Cleveland Orchestra

The Complete Columbia Album Collection

CD 1
Maurice Ravel (1875-1937)
Daphnis et Chloé – Suite No. 2, M. 57b
Rapsodie espagnole, M. 54
Alborada del gracioso, M. 43/4

CD 2
Claude Debussy (1862-1918)
La Mer, L. 109, CD 111
Jerome Kern (1885-1945) / Charles Miller (1899-1979)
Show Boat. Scenario for Orchestra

CD 3
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 5 en ré mineur, Op. 47

CD 4
Richard Strauss (1864-1949)
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171
Salomé, Op. 54, TrV 215 – Danse des 7 voiles
Der Rosenkavalier, Op. 59, TrV 227 – Suite de valses

CD 5
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Roméo et Juliette – Ouverture-Fantaisie, TH 42
Ouverture « 1812 », Op. 49, TH 49
Marche slave, Op. 31, TH 45
Modeste Mussorgski (1839-1881)
La Khovanchtchina, Acte I – Prélude. Andante tranquillo (Lever de soleil sur la Moskova)

CD 6
Jean Sibelius (1865-1957)
Symphonie No. 5 en mi bémol majeur, Op. 82
Finlandia, Op. 26
Armas Järnefelt (1869-1958)
Præludium

CD 7
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 5 en mi mineur, Op. 64, TH 29

CD 8
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 1 en fa mineur, Op. 10

CD 9
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Schéhérazade, Op. 35
Jaromír Weinberger (1896-1967)
Variations et Fugue sur « Under the Spreading Chestnut Tree »
Boris Goldovsky, piano

CD 10
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
A Midsummer Night’s Dream, musique de scène, Op. 61, MWV M 13 (5 extraits : No. 0. Ouverture, Op. 21 ; No. 1. Scherzo ; No. 5. Intermezzo ; No. 7. Notturno ; No. 9. Marche nuptiale)

CD 11
Richard Strauss (1864-1949)
Ein Heldenleben, Op. 40, TrV 190
Carl Maria von Weber (1786-1826)
Der Freischütz, Op. 77, J. 277 – Ouverture

CD 12
Hector Berlioz (1803-1869)
Symphonie fantastique, Op. 14a, H 48

CD 13
Arnold Schönberg (1874-1951)
Concerto pour violon et orchestre, Op. 36
Louis Krasner, violon – New York Philharmonic Orchestra</strong – Dimitri Mitropoulos, direction

Alban Berg (1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre, « A la mémoire d’un ange »
Louis Krasner, violon

Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en mi mineur, MWV O 14
Nathan Milstein, violon

The Cleveland Orchestra
Artur Rodziński, direction

Un coffret de 13 CD du label Sony Classical 19439928772
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Photo à la une : de gauche à droite, les pianistes Eugene Istomin et Leonard Pennario, le jeune Leonard Bernstein et Artur Rodziński, à New York, en 1943 – Photo : © DR