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Pastorale morave

Vingt-trois duos pour soprano et alto, avec dans l’Opus 20 l’apport d’un ténor qui fait diversion, voilà ce que Dvořák moissonna, entre autres, de l’été 1876 à l’automne 1877. Ces merveilles peu courues au disque sont au cœur de ses mélodies, part la plus méconnue de son œuvre, mais pas la moins inspirée.

Pourtant, lorsque son éditeur lui en soumit l’idée, il refusa net pour mieux se raviser ensuite, conquis par l’insistance d’un couple d’amis : s’il prenait les textes de chansons moraves, les choisissant lui-même, la musique serait de sa plume. Tout en dorant avec poésie les idiomes moraves qui seront si chers à Janáček et à Mahler, il écrit une musique absolument savante dans une inspiration populaire, le tout produisant un folklore imaginaire qui sera l’une des constantes de son art. Ces Duos furent parmi ses premiers succès internationaux, Brahms les aima tant qu’il recommanda Dvořák à son éditeur berlinois, Simrock.

Il faut dans ces perles un naturel absolu, des voix fraîches comme des sources, des chanteuses et un chanteur qui incarnent les mots dans toute leur immédiateté émotionnelle et savent en faire danser les notes.

Simona Šaturová et Markéta Cukrová, de leurs timbres parfaitement appariés, les chantent comme à la maison, avec un naturel où s’alternent piquant et nostalgie, Petr Nekoranec ajoutant son beau ténor lyrique, le piano de Vojtěch Spurný danse ou rêve, alerte et versicolore, mettant par son clavier plein d’imagination comme un petit orchestre champêtre.

Album délicieux, qui enfin rend justice à ces opus trop oubliés hors de Tchéquie.

LE DISQUE DU JOUR

Antonín Dvořák (1841-1904)
4 Duos moraves, Op. 38
La vie de soldat
Sur notre toit
4 Duos moraves, Op. 20
13 Duos moraves, Op. 32

Simona Šaturová, soprano
Markéta Cukrová, mezzo-soprano
Petr Nekoranec, ténor
Vojtěch Spurný, piano (Piano Bösendorfer du compositeur, Vienne, 1879)

Un album du label Supraphon Records SU4238-2
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Photo à la une : La soprano Simona Šaturová – Photo : © Lucie Robinson

Les inattendus

Munich, mai 2011, Christian Thielemann, interprète inspiré de Bruckner, célèbre la mémoire de Gustav Mahler à l’occasion du centenaire de sa mort, alliant dans un même concert l’alpha et l’oméga de cet univers. Commençons à rebours de la soirée, par l’oméga, l’Adagio de la 10e Symphonie. Thielemann le prend plutôt fluide, désincarne la longue première phrase des cordes, avant de vous engager dans un vaste nocturne.

Sa réserve pudique, l’absence de pathos de son geste donnent un caractère lunaire à cette déambulation qui ici résonne en écho à l’Abschied du Chant de la terre comme rarement, emplie de silences subtilement réalisés où simplement évoqués par des pianissimos variés dans les couleurs même des timbres.

C’est confondant de poésie, réalisé avec un soin du détail, une maîtrise de l’agogique, des phrasés vocaux qui regardent vers un monde disparu. En rien la musique de l’avenir, même lorsqu’éclate le monolithe des cuivres, mais un adieu, une étreinte de sons en mode funèbre. Et toujours cette capacité sidérante à creuser l’espace vers le pianissimo.

Quelle maîtrise !, qui se fait aussi entendre dans les accompagnements ciselés de huit des Lieder du recueil Des Knaben Wunderhorn, ouvragés par le baryton tour à tour mordant ou élégiaque de Michael Volle. Les grands Lieder – Wo die schönen Trompeten blasen, mais surtout Urlicht – sont sciants à force d’élévation, la fantaisie entre conte et sarcasme de Rheinlegendchen génialement croquée, l’effroi de Das Irdische Leben qu’on entend trop peu souvent dans la voix d’un baryton, imparable, d’autant que l’orchestre se confond avec les intentions du chanteur, enlace ses couleurs à ses lignes. On aimerait bien par les mêmes les Lieder eines fahrenden Gesellen, les Kindertotenlieder, les Rückert, il n’est probablement pas trop tard pour Michael Volle, comme le prouve un éloquent album Wagner gravé en mai 2016 à Berlin.

Grand Hollandais devant l’éternel (Die Frist ist um débarrassé de toute noirceur superflue n’en est que plus percutant), il est ici tout à tour Wolfram (et avec quelle ligne !, qui n’oublie pas de faire sonner les mots), Amfortas bien sûr (la plainte, crucifiante), un Wotan dangereux, mais surtout un Hans Sachs de haut vol.

Il serait temps de le voir enfin enregistrer l’intégralité de ces rôles qui font le cœur de son répertoire, d’autant que Michael Volle est plutôt rare au disque. Du moins on en a, ici, l’essence.

Mais revenons à Christian Thielemann. Voici peu, il donnait avec ses Dresdois la 3e Symphonie de Gustav Mahler, à quand une parution ?

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Des Knaben Wunderhorn (extraits : Nos. 1, 4, 5, 7, 8, 9, 11 & 12)
Symphonie No. 10 (extrait : I. Adagio)

Michael Volle, baryton
Münchner Philharmoniker
Christian Thielemann, direction
Un album du label Münchner Philharmoniker MPHIL007
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Richard Wagner (1813-1883)
Scènes et Airs tirés de : Die Meistersinger von Nürnberg WWV 96, Der fliegende Holländer WWV 63, Tannhäuser WWV 70, Parsifal WWV 111, Siegfried WWV 86C, Das Rheingold WWV 86A, Die Walküre WWV 86b

Michael Volle, baryton
Rundfunk-Sinfonie Orchestre Berlin
Georg Fritsch, direction
Un album du label Orfeo C904171A
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Photo à la une : © DR

La soprano qui ne voulait pas

Otto Klemperer, rescapé de l’Ancien Monde, aimait ses chanteuses jeunes : pour ses Wagner, Dernesch, Silja étaient convoquées au studio, chez Mozart, pour son Così fan tutte, deux jeunes diamants parfaitement assortis, Margaret Price et Yvonne Minton, pour sa Zauberflöte, Popp (en Reine, elle sera aussi Despina) et Janowitz, et dans les utilités, Schwarzkopf en Première Dame mais surtout Christa Ludwig en Seconde. Continuer la lecture de La soprano qui ne voulait pas