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La perfection

Belle idée, rassembler les gravures russes que Louis Kentner grava pour le 78 tours : ses Études de Liapounov où la virtuosité ne se fait jamais voir sont restés des modèles, je suis bien curieux d’entendre ce que Florian Noack, qui s’apprête à les enregistrer, aura appris à leur fréquentation.

Son Islamey de Balakirev, plus indolente, plus « Shéhérazade » que celles de tant de bêtes d’estrade, est un conte magique où tout l’orient s’engouffre, poème de sons. Car Louis Kentner fut un maître des timbres.

Pur produit du Conservatoire de Budapest, ami de Bartók et créateur en Hongrie de son Deuxième Concerto, futur beau-frère et partenaire de Yehudi Menuhin, établi à Londres dès 1935, il laissa un legs discographique immaculé, dont ces 78 tours de répertoire russe n’illustrent qu’une face. Lorsque l’on sait qu’il donna sur les ondes de la BBC l’intégrale des Sonates de Beethoven et de Schubert ! Cela fut-il seulement conservé ? Peu probable, hélas.

La publication d’un inédit absolu complète cet album impeccable, et quel ! Rien moins que la Sonate de Liszt, bouclée en un peu moins de vingt-huit minutes, entreprise avec un naturel et un aplomb qui en 1948 font entendre que Kentner jouait comme toujours en classique, construction parfaite, sens du récit, couleurs subtiles, et cette conscience de l’harmonie : voilà qui rend cette parution d’autant plus indispensable et son long séjour aux enfers du disque incompréhensible.

LE DISQUE DU JOUR


Mili Balakirev (1837-1910)
Sonate pour piano No. 2
en si bémol mineur
(enr. 2 juin 1949)

Islamey, fantaisie orientale, Op. 18 (enr. 14 juin 1944)
Rêverie en fa majeur
(enr. 15 juin 1944)

Mazurka No. 6 en la bémol majeur (enr. 14 avril 1944)
Sergei Liapounov (1859-1924)
12 Études d’exécution transcendante (enr. Décembre 1949)
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate pour piano en si mineur, S. 178 (enr. 28 mai & 4 juin 1944)

Louis Kentner, piano

Un album de 2 CD du label APR 6020
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Photo à la une : Dessin de René Shapshak : Louis Kentner (détail) – Photo : © DR

L’oublié

Erik Then-Bergh (1916-1982), cela vous dit quelque chose ? Jeune homme, entêté à apprendre de nouvelles œuvres, je découvrais ce pianiste allemand en même temps que le Concerto de Reger qu’il avait gravé pour Electrola sous la baguette de Hans Rosbaud. L’autorité rageuse de son jeu, l’ampleur des tempêtes polyphoniques qu’il y produisait me laissèrent sans voix. Mais las !, impossible d’en savoir plus, ses autres albums étaient introuvables, jusqu’à ce que je déniche chez un disquaire de Prague un fulgurant Premier Concerto de Brahms avec Karel Ancerl. Quel son, quelle autorité.

Avec cela une densité de réflexion, un art de la construction qui le plaçait au centre des préoccupations esthétiques Continuer la lecture de L’oublié

Le maître des Diabelli

Il fallait se souvenir qu’en février 1952, Paul Baumgartner gravait pour la Deutsche Grammophon sur un somptueux Steinway et dans l’acoustique porteuse de la Beethoven-Saal de Hanovre une version parfaite des Variations Diabelli, architecture impeccable Continuer la lecture de Le maître des Diabelli

Le Disciple

L’essentiel du legs regroupé ici – l’intégrale des enregistrements réalisés par Egon Petri pour la Columbia et Electrola entre les débuts de l’enregistrement électrique (1929) et l’apparition du microsillon (1951) – avait déjà paru en 3 double CD chez APR au cours des années 1990.

Mark Obert-Thorn les a revisités, corrigeant les pitchs, redonnant de la présence – dynamiques, couleurs, définitions – à nombre d’entre eux, et ajoutant ses propres transferts de la Chaconne de Bach/Busoni, des Rhapsodies de Brahms et de si surprenants Préludes de Chopin gravés en 1942 alors que le pianiste s’était définitivement exilé aux États-Unis.

L’affaire est entendue, Egon Petri est un génie. Ceux qui en doutent resteront ébahis devant ce piano immense et grondeur, ce jeu vif, toujours rapide, emporté et pourtant précis, qui saisit autant chez Beethoven – sa Hammerklavier, son Op. 111 sont demeurés légendaires – que chez Bach, Schubert, ou Brahms (Ballades venues d’un autre monde, Klavierstücke Op. 118 exaltés malgré un piano sensiblement désaccordé, d’ailleurs les matrices restèrent inexploitées jusqu’à ces repiquages des années 1990).

De nationalité néerlandaise, mais né à Hanovre, éduqué par son père le violoniste Henri Petri (Busoni lui dédia son Concerto et ses Sonates, trois partitions écrites pour lui) dans la plus pure tradition saxonne – la famille s’était établie à Dresde – Egon Petri apprit son art de toucher le piano auprès de Busoni. Le compositeur de Doktor Faust lui transmit bien plus que son rapport si naturel au clavier, il lui fit partager son univers culturel, au point que Petri devint son disciple : toujours il jouera Busoni, avec autant d’ardeur que Beethoven.

Ceux qui connaissent son art par ses tardifs microsillons Westminster des années cinquante lui trouveront un jeu autrement vif ici, mais déjà ce même art de timbrer sidérant qui abolissait les marteaux. Sa science du toucher est restée légendaire, à l’égal de celle d’un Gieseking, mais la puissance de ses conceptions, l’ardeur de son jeu, l’éloquence sans grandiloquence de son style sont pleinement réalisées dans ces enregistrements où la gravure directe sur 78 tours capturait le grain si spécial de sa sonorité.

Une somme essentielle, un témoignage majeur sur un certain art de jouer du piano, d’envisager la musique, qui se sont à jamais perdus.

LE DISQUE DU JOUR

egon-petri-columbia-and-electrola-recordings-7-apr-7701-5Egon Petri
The Complete Columbia and Electrola Solo and Concerto Recordings, 1929-1951

Œuvres de Beethoven, Brahms, Busoni, Chopin, Franck, Liszt

Egon Petri, piano

Un coffret de 6 CD du label APR 7701
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Photo à la une : © DR