Tous les articles par Jean-Charles Hoffelé

Premiers émois

Décembre 1953 : Antal Doráti enregistre Casse-noisette pour le micro unique de Robert Fine inaugurant sa première série de gravures des trois ballets de Tchaikovski. Il reviendra au conte d’Hoffmann par deux fois encore, à Londres (London Symphony Orchestra, 1962), puis à Amsterdam (Concertgebouw, 1975). Continuer la lecture de Premiers émois

Scriabine and Co.

Mikhail Petnev joue Scriabine, avec parcimonie et discrétion : un album de son temps de Virgin Classics réunissait les Préludes Op. 11 aux 4e et 10e Sonates, lectures tenues, corsetées presque, mais d’une imagination de peintre.

Ce sont à nouveau les couleurs Continuer la lecture de Scriabine and Co.

Les enfants dans la maison

Pour L’Enfant et les sortilèges, ma religion est faite depuis belle lurette : Ansermet, Ansermet, Ansermet, même s’il m’arrive de donner de l’oreille chez Ernest Bour, Armin Jordan ou Lorin Maazel. Pourtant, dès qu’une nouvelle version pointe le bout de son nez, je ne résiste pas, espérant un nouveau miracle. La seule promesse d’un Enfant selon Seiji Ozawa me faisait rêver. N’avait-il pas signé à Boston une des plus accomplies intégrales de l’œuvre d’orchestre ?

Mais non, enregistré à la diable lors d’une représentation au Japon, sa lecture précautionneuse et assez sèche passe à coté de l’émotion et de la fantaisie, malgré quelques chanteurs formidables (Yvonne Naef, Paul Gay, Jean-Paul Fouchécourt). Le disque vaut surtout par ses bonus, déjà publiés d’ailleurs, une Shéhérazade enfin parée de l’étoffe des songes selon Susan Graham et une Alborada del gracioso plus élégante que mordante.

Un mois plus tard, nouvel Enfant, cette fois dans le cadre de l’intégrale Ravel entreprise à Lyon par le nouveau chef de l’Orchestre National de la Capitale des Gaules, Leonard Slatkin, qui jusque-là ne m’avait guère enthousiasmé. Oui mais voilà, soudain, tout change.

Même si Slatkin n’a pas la poésie brillante d’Ansermet, ni son style si évident, il trouve le ton de l’œuvre, emporté par une distribution faramineuse qui aligne Annick Massis, Delphine Galou, Marc Barrard, Julie Pasturaud, Ingrid Perruche, Nicolas Courjal et Jean-Paul Fouchécourt, excusez du peu !

Pour toute la première partie de l’œuvre où la maison s’anime, un ton de fantasmagorie s’invite – on passe du banal, piqué quand même par la mère très « bourge » de Delphine Galou au délire conduit par Julie Pasturaud en Chaise Louis XV complètement piquée ! Marc Barrard en Horloge suffocante, le duo ThéièreTasse détaillé avec un art du burlesque savoureux, Jean-Paul Fouchécourt lançant ses calculs diaboliques bien plus percutant qu’avec Ozawa et rappelant le brio qu’y mettait Hugues Cuénod, le Feu vif et la Princesse tendre d’Annick Massis avec une flûte magique, c’est merveille.

Le Jardin est moins extraordinaire, souffrant de montages et de césures trop audibles, Slatkin n’y mettant pas la touche nocturne et fantasque, la fantaisie étrange qu’y suscitait Ansermet – seul Armin Jordan la retrouva en partie – mais là encore, l’équipe de chant fait merveille : Dieu, comme L’Arbre de Nicolas Courjal est étreignant, nous renvoyant aux horreurs de la Première Guerre Mondiale qui éprouvèrent tant Ravel.

Et L’Enfant ? Hélène Hébrard fait aussi bien qu’elle peut, mais n’est pas Flore Wend, et pourquoi enfin ne pas avoir tenté un véritable garçon en prenant un alto dans la Maîtrise de l’Opéra National de Lyon dont les jeunes gosiers sont si percutants ici ? La question reste ouverte.

En complément, une assez morne lecture de Ma mère l’Oye dans sa version intégrale, enregistrée deux années auparavant, montre à quel point l’orchestre et le chef se sont depuis mieux compris, de quoi guetter les prochaines parutions de cette série avec intérêt, d’autant que François Dumont sera le héros des Concertos et que L’Heure espagnole affichera un quatuor renversant : Isabelle Druet, Frédéric Antoun, Nicolas Courjal, Luca Lombardo !

LE DISQUE DU JOUR

cover ozawa ravel enfantMaurice Ravel (1875-1937)
L’Enfant et les sortilèges
Shéhérazade*
Alborada del gracioso (version orchestrale)

Isabel Leonard, mezzo-soprano (L’Enfant)
Yvonne Naef, mezzo-soprano (Maman, La Libellule, La Tasse chinoise)
Paul Gay, baryton-basse (Le Fauteuil, un Arbre)
Anna Christy, soprano (Le Feu, la Princesse, le Rossignol)
Marie Lenormand, mezzo-soprano (La Chatte, l’Ecureuil)
Elliot Madore, baryton (L’Horloge comtoise, le Chat)
Jean-Paul Fouchécourt, ténor (La Théière, le Petit Vieillard, la Rainette)
Kanae Fujitani, soprano (La Bergère, La Chauve-souris)
*Susan Graham, mezzo-soprano
Saito Kinen Orchestra
Seiji Ozawa, direction
Un album du label Decca 4786760
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660268-69 bk Strauss EUMaurice Ravel (1875-1937)
L’Enfant et les sortilèges
Ma Mère l’Oye (Ballet intégral)

Hélène Hébrard, soprano (L’Enfant)
Delphine Galou, contralto (Maman, La Libellule, La Tasse chinoise)
Julie Pasturaud, mezzo-soprano (La Bergère, la Chatte, l’Ecureuil, un Pâtre)
Jean-Paul Fouchécourt, tenor (La Théière, le Petit Vieillard, la Rainette)
Marc Barrard, baryton (L’Horloge comtoise, le Chat)
Nicolas Courjal, basse (Le Fauteuil, un Arbre)
Ingrid Perruche, soprano (La Chauve-souris, la Chouette, une Pastourelle)
Annick Massis, soprano (Le Feu, la Princesse, le Rossignol)

Chœur Britten
Jeune Chœur symphonique
Maîtrise de l’Opéra National de Lyon
Orchestre National de Lyon
Leonard Slatkin, direction
Un album du label Naxos 8.660336
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Photo à la une : (c) DR

Archives soviétiques

La Première Sonate de Schumann a besoin d’un héros, un pianiste à la grande technique, de haut style, très libre pour le chant, et qui sait jouer dans la profondeur du clavier sans peser : Emil Gilels. La captation en concert au Conservatoire de Leningrad un soir de 1961 (l’éditeur pourrait être plus précis, c’est -à-dire le 10 octobre 1961…) de cette interprétation devenue légendaire transporte dès le premier thème en Schumanie, Gilels sachant comme personne créer cette légère instabilité des contre-chants qui donne à la fois une sensation d’ivresse et d’angoisse, contrairement à tant de ses confrères qui hachent le texte et raidissent l’expression.

De la même soirée (et non pas d’un concert de 1968…), une admirable Deuxième Sonate de Chopin, plus dite que déclamée, enflamme la salle, pur romantisme noir : ce soir là, décidément il y avait du Vladimir Sofronitzky chez Emil Gilels. L’éditeur ajoute deux Etudes (Op. post No. 3, Op. 25 No. 2) jouées comme des poèmes, et la Rhapsodie espagnole de Liszt. Même si Grigori Ginzburg en était à l’époque le spécialiste absolu, Gilels fait assaut de jeu noble mais aussi de fantaisie. La virtuosité ne compte pas, elle ne s’entend d’ailleurs pas, les paysages et la narration font tout.

Adieux concert, bonjour studio, revoilà le récital Bach que Tatiana Nikolayeva enregistra en 1980. Il s’ouvre sur un Concerto Italien plus tenu que solaire, où la pianiste ne trouve pas immédiatement ses timbres de cloches, ses polyphonies d’échos qui éclatent soudain dans la Toccata et Fugue en ré mineurBusoni suscite du clavier tout un orchestre : voila Nikolayeva chez elle, comme dans le modelé plein de contre-chants de Jésus, que ma joie demeure, en tous points l’anti-legato de Dinu Lipatti, et un vrai choral d’église. Le Bach intime, murmuré, lui va comme un gant, la pesée impondérable de son toucher dans la Sicilienne dorée par Wilhelm Kempff ou dans le subtil cantabile de Wachet auf, ruft uns die Stimme font merveille autant que le sens d’une rhétorique ardente dans une Chaconne où le timbre est tout, comme le voulait expressément Busoni. Immense disque Bach dont on a connu par le passé des éditions plus soignées.

Plus rare, voici un album Haydn Mozart par le Quatuor Borodine pris dans les archives de la Radio de Moscou, superbement capté en stéréophonie en 1960 et en 1961 : on a le quatuor dans la pièce, les timbres des cordes si présents qu’on pourrait les toucher.

Les Borodine sont alors au sommet de leur première formation (Rotislav Dubinski, Iaroslav Alexandrov, Andrei Abramenkov, Valentin Berlinski), et leur style parfait, leur jeu si moderne surprend dans le répertoire classique. La plénitude de la sonorité enchante leur Alouette de Haydn, virtuose, plein d’humour, mais c’est dans Mozart que ce chant éperdu atteint à une sorte de génie.

Admirable Quinzième Quatuor, plus admirable encore le Quintette avec clarinette où l’instrument surréel, au son boisé, joué par Ivan Mozgovenko semble entrer dans la polyphonie du quatuor. Tout cela était inédit hors de Russie et ouvre sur cette formation mythique un point de vue surprenant. Vite d’autres archives du même tonneau !

LE DISQUE DU JOUR

Cvr Giles Leningrad AltoEmil Gilels
à Leningrad

Frédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour piano No. 2
en si bémol mineur, Op. 35
« Funèbre »

Étude pour piano en la bémol majeur, Op. posth. (No. 3)
Étude pour piano en fa mineur, Op. 25 No. 2
Robert Schumann (1810-1856)
Sonate pour piano No. 1 en fa dièse mineur, Op. 11
Robert Schumann (1811-1886)
Rapsodie espagnole, pour piano, S. 254, R. 90

Emil Gilels, piano

Un album du label Alto ALC1300
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cover bach nikolayeva altoJohann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto Italien en fa majeur, BWV 971 (extrait
de la Clavier-Übung II)

Toccata et Fugue en ré mineur, pour orgue, BWV 565 (transcription pour piano :
Ferrucio Busoni)

Prélude de Choral « Jesus bleibet meine Freude »
(transc. d’après le Choral de la Cantate BWV 147 : Dame Myra Hess)

Prélude de Choral « Wachet auf, ruft uns die Stimme », BWV 645
(extrait des « 6 Chorals-Schübler ; transc. : Dame Myra Hess)

Prélude de Choral « Nun komm der Heiden Heiland », BWV 659
(extrait des « 6 Chorals-Schübler ; transc. : Ferrucio Busoni)

Sicilienne en sol mineur
(extrait de la Sonate pour flûte et clavier, BWV 1031 ; transc. : Wilhelm Kempff)
Fugue pour orgue en sol mineur, BWV 578 (transc. : Ferrucio Busoni)

Tatiana Nikolayeva, piano

Un album du label Alto ALC1205
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cover borodin alto mozart haydnFranz Joseph Haydn
(1732-1809)
Quatuor à cordes No. 53
en ré majeur, Hob.III.63,
Op. 64 No. 5 « L’Alouette »

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Quatuor à cordes No. 15 en ré mineur, KV 421/417b
(extrait des « Quatuors dédiés à Joseph Haydn »)
Quintette pour clarinette et cordes en la majeur, KV 581

Ivan Mozgovenko, clarinette
Quatuor Borodine

Un album du label Alto ALCD1297
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Photo à la une : Le pianiste russe Emil Gilels – Photo : © DGG