L’Opéra de l’Illusion

Le plus aimé des opéras de Haendel ? Joan Sutherland lui donna vie au XXe siècle, inventant quasi ex-nihilo un premier bel canto, hélas de mots peu percutants (davantage en scène qu’au disque tout de même) qui fit beaucoup pour ce « Haendel Revival » dont on perçoit encore les échos au travers de la révolution des interprétations historiquement informées.

C’est par le chant de la magicienne que l’astre lyrique du Caro Sassone brilla à nouveau. Renée Fleming se souviendra de sa glorieuse aînée, mais elle devait baisser la garde face à une magicienne plus touchante encore, Arleen Auger, que le Châtelet fêta mais qui l’avait enregistrée assez tôt sous la direction attentive, parfois un peu prudente mais en tous cas guère philologique, de Richard Hickox.

Il en sera ainsi d’Alcina au disque : des cantatrices d’abord, l’esprit certainement, mais pour la lettre moins de soin, une formidable Anja Harteros restant un peu seule dans une production munichoise que le disque a documentée. En 2008, Archiv Produktion confia au scrupuleux Alan Curtis ce qui devait être enfin la première Alcina philologique, pour les sources, l’instrumentarium, les tessitures, mais raide hélas, malgré l’incarnation majeure qu’en offrait Joyce DiDonato pour laquelle l’enregistrement fut monté.

Il restait donc une place à saisir pour cette Alcina à ceux qui voudraient la faire entendre dans sa lettre originelle et avec le feu du théâtre. Quel bonheur de voir Marc Minkowski revenir ici à son répertoire de cœur, et comme il dessine dès les premières scènes l’atmosphère magique de l’île où Bradamante et Melisso viennent d’échouer, quel tremblement amoureux saisit immédiatement Morgana (magnifique Erin Morley) à la vue du faux Riccardo, avec quelle aménité déjà un peu trouble Magdalena Kožená accueille les deux naufragés.

Son mezzo ambré donne à la magicienne une nuance plus sombre que le fit même Joyce DiDionato, plus subtile aussi car cette diseuse est incroyable, et ne craindra pas le développement dramatique du rôle, ni ses pyrotechnies, son instrument sachant s’alléger. Ecoutez seulement « Si son quella ».

Tous sont formidables d’ailleurs, dès son premier air (« Di te mi rido »), la Bradamante grand teint d’Elizabeth DeShong stupéfie, mais comment ne pas entendre que l’autre diamant de cette version appelée à révolutionner la discographie est le Ruggiero appassionato d’Anna Bonitatibus ? À elle, la violence amoureuse et le chant héroïque, quel « Sta nell’Ircana » ! de quoi égaler en termes vocaux différents l’éclat qu’y mettait Della Jones.

Formidable !, comme les comprimari masculins, Oronte intrigant à souhait selon Valerio Contaldo (qui sait mettre du venin dans son ténor de caractère), Melisso parfait d’Alex Rosen, délicieux Oberto enamouré si finement chanté par Aloïs Mühlbacher, mais ce sont autant Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre qu’il faut fêter, poètes dans le merveilleux, ardents pour les passions, rendant à Alcina tous ses visages.

Si seulement avec de telles équipes de chant, ils pouvaient poursuivre. Rodelinda leur tend les bras, et côté Gluck, Alceste, qui manquait à leur cycle Archiv, itou.

LE DISQUE DU JOUR

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Alcina, HWV 34

Magdalena Kožená,
mezzo-soprano (Alcina)
Erin Morley, soprano (Morgana)
Alois Mühlbacher, contre-ténor (Oberto)
Anna Bonitatibus,
mezzo-soprano (Ruggiero)
Elizabeth DeShong, mezzo-soprano (Bradamante)
Valerio Contaldo, ténor (Oronte)
Alex Rosen, basse (Melisso)

Les Musiciens du Louvre
Marc Minkowski, direction

Un album de 3 CD du label Pentatone PTC51287084
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Photo à la une : © DR