Ultima verba

La résurrection de Demofoonte, troisième opéra d’un Gluck pas encore trentenaire, composé pour Milan sur un brillant livret de Métastase, fut l’ultime souci d’Alan Curtis. Si la mort ne l’avait pris neuf mois après l’enregistrement qu’il en boucla en novembre 2014, nul doute qu’il aurait poursuivi sa réhabilitation systématique des ouvrages méconnus de l’auteur d’Orphée et Eurydice commencé trois années auparavant avec l’exhumation d’Ezio.

Le maître d’œuvre disparu, ce n’est donc pas Warner qui publie ce Demofoonte stupéfiant d’invention, mais Brilliant Classics. Grand seria alignant des airs plus expressifs que virtuoses, où Gluck prend ses distances avec l’opéra à effets issu de la tradition vénitienne comme avec les productions pyrotechniques importées sur toutes les scènes de la péninsule par Naples et ses castrats, Demofoonte serait-il le chef-d’œuvre de cette première manière ?

On le saura le jour où les autres opéras pour les théâtres italiens, Artaserse, Demetrio, Il Tigrane, La Sofonisba, Ipermnestra, Poro ou Ippolito seront enregistrés dignement. L’intérêt soutenu que Carestini porta à Demofoonte – il imposa l’ouvrage sur plusieurs scènes – prouve bien que Gluck avait écrit ici un opéra renouvelant le genre.

Mais qui pour chanter le rôle admirable de Timante que Gluck écrivit pour Carestini ? Un quasi inconnu lorsque Alan Curtis envisagea d’enregistrer l’ouvrage après qu’il en avait écrit les récitatifs qui manquaient à l’exemplaire conservé à la Bibliothèque Nationale, la plus complète des sources pourtant. Aryeh Nussbaum Cohen n’avait que dix-neuf ans lorsqu’il entonna le premier air de Timante, voix longue et intense, à l’aigu renversant, virtuose et sensible à la fois, où passe dans le timbre le souvenir de celle de Russell Oberlin.

Ce n’est pas la moindre surprise d’un enregistrement de bout en bout magnifique où les révélations – ce Timante, mais aussi la Dircea lyrique de Sylvia Schwartz – côtoient des voix mieux connues et fidèles aux aventures d’Alan Curtis, de la Creusa émouvante d’Ann Hallenberg au Cherinto ardent de Romina Basso, en passant par le Matusio tranchant de Vittorio Prato, Colin Balzer ne faisant qu’une bouchée du rôle-titre.

Courrez découvrir cette gravure parfaite qui rend justice au premier génie de celui qui allait réformer le monde lyrique.

LE DISQUE DU JOUR


Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Demofoonte, Wq. 3

Colin Balzer, ténor
(Demofoonte)
Sylvia Schwartz, soprano
(Dircea)
Ann Hallenberg,
mezzo-soprano (Creusa)
Aryeh Nussbaum Cohen, contre-ténor (Timante)
Romina Basso, mezzo-soprano (Cherinto)
Vittorio Prato, baryton (Matusio)
Nerea Berraondo, mezzo-soprano (Adrasto)

Il Complesso barocco
Alan Curtis, direction

Un coffret de 3 CD du label Brilliant Classics 95283
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Photo à la une : le contre-ténor Aryeh Nussbaum Cohen – Photo : © Dario Acosta