Le ruban dénoué

La Belle époque que proclame dans un grand élan de danse la Valse carnavalesque de Cécile Chaminade et qui nomme le nouvel album de Ludmila Berlinskaya et d’Arthur Ancelle se réalise absolument dans le chef-d’œuvre pianistique de Reynaldo Hahn : les douze valses du Ruban dénoué écrites en 1915 alors que Ravel songeait à ce qui allait devenir son Tombeau de Couperin. Mais Hahn, même mobilisé au front, n’écrira pas un tombeau, plutôt un hommage à sa France, celle des salons de Paris, de la chambre de Proust, manière de chérir sous les bombes l’essence d’un art voué à la sensualité et au plaisir.

Pourtant, le cahier est bien plus ambigu qu’il n’y parait à première lecture, Ludmila Berlisnkaya et Arthur Ancelle en scrutent les ombres infimes, la lyrique suspendue, les mélodies inoubliables et fugitives, les trois temps qui dansent au bord du volcan, éclairant avec un art pianistique consommé l’envers de ces textes qui s’exprime une fois ouvertement dans la Danse du doute et de l’espérance. Et puis comment ne pas entendre à quel point ils comprennent les audaces harmoniques dont certaines annoncent Poulenc ; écoutez Le demi-sommeil embaumé.

À cet opus fascinant s’ajoutent deux raretés, la Suite Op. 6 de Charles Koechlin, tout en finesse, se démarquant par un certain classicisme de l’emprise de Fauré, et le brillant triptyque (une autre « Suite op. 6 », mais notée « brève ») un brin néobaroque de Louis Aubert, compositeur magnifique qui mériterait bien que l’on s’attelât à l’enregistrement intégral de son œuvre.

En coda de cet album dédié à une Belle Epoque déchirée par la guerre un des chefs-d’œuvre de l’ultime manière de Debussy, En blanc et noir, né comme Le ruban dénoué au cœur de la guerre en cette année 1915. Debussy y épure sa syntaxe, le graphisme de la partition est fascinant dans la musique qu’il produit.

Ce triptyque commencé par un bal où résonne l’appel d’un cornet et terminé par une étude de sonorités saisissante contient en son centre la pièce la plus désespérée, la plus enténébrée qu’ait jamais écrite Debussy : ce Lent. Sombre dont Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle restituent dans leurs claviers inquiets les abîmes où résonnent les appels perdus des clairons errant sur les champs de bataille, requiem de notes ici finement incarné. Et maintenant s’ils allaient voir du coté de Fauré et de Ravel ?

LE DISQUE DU JOUR

Belle Époque

Cécile Chaminade
(1857-1944)
Valse carnavalesque, Op. 73
Charles Koechlin (1867-1950)
Suite pour deux pianos, Op. 6
Louis Aubert (1877-1968)
Suite brève, Op. 6
Reynaldo Hahn (1874-1947)
Le Ruban dénoué
Claude Debussy (1862-1918)
En blanc et noir, L. 142

Arthur Ancelle
Ludmila Berlinskaya, piano

Un album du label Melodiya MELCD1002563
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Photo à la une : © DR