L’esprit de Kochanski

Le mystère élégant que distille l’archet si long de Lisa Batiashvili dans la phrase murmurée qui ouvre l’Andantino du Premier Concerto, n’est-ce pas la résurrection de la sonorité idéale que Sergei Prokofiev trouvait au violon de Pavel Kochanski ?

La finesse de la chanterelle de la violoniste évoque bien cette perfection sonore si lyrique, quelques instants plus tard elle élancera son archet comme une ballerine, car il y a dans le Premier Concerto une chorégraphie des sons qui reconduit toujours à ces plages de quasi silence où soudain l’aigu du violon scintille des étoiles pâles. Quelle poésie ! où s’engage le subtil lacis sonore d’un orchestre léger réglé au millimètre près par Yannick Nézet-Séguin.

Le Second Concerto, écrit pour la grande sonorité de Robert Söetens, est autrement amer, nocturne dont Lisa Batiashvili dit le récitatif initial avec des couleurs de contralto. Ces timbres profonds semblent inépuisables, comment ne pas entendre à quel point ils rappellent ceux de David Oistrakh, modèle probablement avoué. La puissance expressive de cette conception encore augmentée par la perfection d’une sonorité radieuse s’accorde aux ténèbres symphoniques que Yannick Nézet-Séguin compose : le concerto se mue en un vaste poème lyrique automnal.

À cette paire parfaite s’ajoute trois arrangements signés Tamas Batiashvili, extraits de Roméo et Juliette, de Cendrillon, de L’Amour des trois oranges (la fameuse Marche), mais c’est aux Concertos que vous irez d’abord, en espérant que demain l’accord parfait réunissant la violoniste et le chef s’étendra aux Concertos de Szymanowski.

LE DISQUE DU JOUR


Sergei Prokofiev
(1891-1953)
Concerto pour violon et orchestre No. 1 en ut majeur, Op. 19
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 63
etc.

Lisa Batiashvili, violon
Orchestre de Chambre d’Europe
Yannick Nézet-Séguin, direction

Un album du label Deutsche Grammophon 002894798529
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Photo à la une : La violoniste Lisa Batiashvili – Photo : © Sammy Hart/Deutsche Grammophon

Opus ultimum

15 novembre 1987, pour son premier concert avec les Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle osait la 6e Symphonie de Gustav Mahler, enflammant l’orchestre, cravachant le quatuor, violentant les cuivres, prenant d’assaut la Philharmonie par une lecture radicale que les Berlinois Continuer la lecture de Opus ultimum

Le Soleil Noir du Grand Siècle

Olivier Schneebeli revient à son cher De Lalande dans les lieux mêmes où il avait honoré trois de ses grands motets : la Chapelle Royale du Château de Versailles. On était en octobre 2001, Jean-Claude Magloire lui avait prêté La Grande Ecurie et la Chambre du Roy, Howard Crook y déployait son expressif haute-contre.

Seize ans plus tard, il ajoute aux motets (Beati quorum remissa sunt, Quam dilecta, Audite celi que loquor) enregistrés alors pour Virgin par les micros de Radio France trois chefs-d’oeuvre : Venite exultemus Domino, De profundis et Dominus regnavit.

L’ampleur de l’orchestre lullyste saisit dans le De profundis que De Lalande retoucha après la mort de Louis XIV, Olivier Schneebeli y déployant une implorante pompe funèbre où Reinoud van Mechelen apporte la touche d’espoir de son haute-contre stylé auquel Les Pages répondent, moment magique : écoutez bien le petit théâtre d’A custodia matutina.

Les deux autres motets sont donnés dans leurs moutures originales qui exaltent les contrastes entre chaque verset, complexifient les rapports entre les solistes et le chœur, magnifient un discours flamboyant qui emplit tout le vaisseau de la Chapelle Royale pour laquelle ils furent écrits, et c’est peu dire qu’Olivier Schneebeli anime avec autant de poésie que d’intensité le théâtre spirituel qu’y déploie De Lalande.

Disque saisissant où l’on entend grâce aux micros de Frédéric Briant l’acoustique si singulière de la Chapelle, où rayonne le sombre soleil du Grand Siècle dans son exacte sonorité : ce sont les instruments même des Vingt-Quatre Violons du Roi de Lully qui sont joués ici, raison de plus pour qu’Olivier Schneebeli persiste à enregistrer les autres motets de ce génie du genre.

LE DISQUE DU JOUR


Michel-Richard de Lalande (1657-1726)
Venite exultemus Domino, S. 58
De profundis, S. 23
Dominus regnavit, S. 65

Chantal Santon-Jeffery, soprano
Reinoud Van Mechelen, haute-contre
François Joron, taille
Lisandro Abadie, basse-taille
Les Pages & les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
Collegium Marianum
Olivier Schneebeli, direction

Un album du label Glossa GCD924301
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Photo à la une : Le chef Olivier Schneebeli – Photo : © CMBV