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La grâce

Quatre opus, quatre compositeurs, quatre chefs-d’œuvre oui, et si distants, si différents que l’interprète n’aurait d’autre solution que de s’y faire entendre d’abord. Mais non, Ludmila Berlinskaya choisit selon son cœur, ses doigts se fondent dans les discours si singuliers de Beethoven, de Schumann, de Ravel, de Medtner, trouvant pourtant à chaque fois de quoi rendre si émouvant son art subtil et élégant.

Dans l’Opus 109, la confidence prime, en doigts allusifs qui au cantabile feront des trilles de papillon après avoir chanté du Bach dans le Gesangvoll, merveille qui semble venue d’un autre temps pianistique, et qui envole littéralement le prestissimo comme le faisait jadis Schnabel. Si cela n’est pas le portique d’un disque majeur !

Les Kreisleriana, suggestives, alertes, sans grandiloquence, vont au cœur de Schumann, avec cette folie qui n’est jamais hystérique, mais soudain crée comme une angoisse. Noir sans le noir, encore un autre tour de magie qui se retrouve assez exactement dans des Valses nobles et sentimentales jamais brillantes, toujours profondes, véritable danse au bord du volcan dont l’étrange tourbillon alenti rappelle le Ravel des Miroirs, puisse-t-elle les enregistrer un jour car son toucher où les notes se jouent comme des lumières est idéalement ravélien.

Après la Sonate de Beethoven, Ludmila Berlinskaya effeuille la nostalgie de la Sonata Reminiscenza de Medtner, songeuse, comme prise dans la magie d’un conte, et c’est Medtner encore qui ouvre le concert qu’elle donne à la petite salle du Conservatoire de Moscou avec ses amis du New Russian Quartett : le Quintette en ut, qui occupa Medtner au long cours de 1904 à 1948, où il tutoie Brahms avec une pointe de génie n’aura jamais trouvé lecture plus émouvante. C’est le clou de cet autre album avec l’Ouverture sur des thèmes juifs de Prokofiev où la clarinette d’Igor Fedotov met son incroyable sonorité Klezmer. Chostakovitch eût goûté le rapprochement avec son âpre Quinette que tous emmènent dans une seule grande ligne, unifiant les cinq mouvements de cette œuvre terrible. Mais commencez d’abord par l’album solo.

LE DISQUE DU JOUR

Reminiscenza
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 30 en mi majeur, Op. 109
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Sonate en la mineur, « Reminiscenza » (extrait des « Mélodies oubliées, Op. 38 »)
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61

Ludmila Berlinskaya, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002526
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Quintet + Live
Nikolaï Medtner (1880-1951)
Quintette pour piano et cordes en ut majeur, Op. posth.
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Ouverture sur des thèmes juifs, Op. 34
Alexey Kurbatov
Sextuor
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Quintette pour piano et cordes en sol mineur, Op. 57

Ludmila Berlinskaya, piano
Igor Fedotov, clarinette ( Prokofiev, Kurbatov)
New Russian Quartet
Un album du label Melodiya MELCD1002486
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Photo à la une : © DR

L’Ouverture perdue

On croyait cette captation de l’Ouverture de Manfred perdue, la voici enfin retrouvée, prélude enfiévré à ce concert lucernois dont le reste du programme était bien connu et fut parfois édité. Les zélateurs de Furtwängler auront souligné à juste titre l’éloquence de cette soirée du 26 août 1953 où le chef allemand renouait avec les fulgurances de ses concerts de l’entre-deux guerres, et en effet toute une certaine radicalité de son art y paraît, qui veut produire à chaque instant une émotion irrépressible quitte à brusquer les textes.

Sommet du concert, une Eroica à tomber, violente, âpre, emmenée avec un panache fou dès les premières mesures de l’Allegro con brio. Elle culmine dans une Marche funèbre terrible de noirceur et un Finale construit comme un inexorable crescendo, cravaché, tout en élan. La 4e Symphonie de Schumann n’est pas en reste, si affirmée dans ses cadences, si rythmée au point que le chant s’inféode toujours à cette battue qui ne laisse rien dans l’ombre tout en suggérant des paysages aux arrière-plans complexes : Furtwängler entendait mieux que beaucoup d’autres les subtilités si particulières de l’orchestre du compositeur de Genoveva (seul Hermann Abendroth l’égalait ici). Le pont entre les deux derniers mouvements reste toujours aussi surprenant, jumeau de celui capté au studio par Deutsche Grammophon.

Si ce concert splendide est resté en marge de la discographie, c’est qu’on aura reproché au Schweizerisches Festspielorchester (aujourd’hui l’Orchestre du Festival de Lucerne), tout emmené qu’il fut ici par Michel Schwalbé, ne pouvoir prétendre à la cohésion des Berlinois ou des Viennois.

Mais l’édition restitue enfin les bandes originales et leur acuité sonore change radicalement la donne, débarrassant des scories des copies précédentes la sonorité si puissante d’une formation qui fait corps avec la battue si mobile de Furtwängler, au point que plus d’une fois cette adéquation semble proche d’un certain idéal.

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann (1810-1856)
Manfred, Op. 115 – Ouverture
Symphonie No. 4 en ré mineur, Op. 120
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 “Eroica”

Schweizerisches Festspielorchester
Wilhelm Furtwängler, direction

Un album de 2 SACD du label Audite 23441
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Photo à la une : Wilhelm Furtwängler, dirigeant les Wiener Philharmoniker – Photo : © DR

Le chaînon manquant

« Spohr est un mollusque, mais un noble mollusque », raillait Schumann, portrait du compositeur autant que de sa musique. Un autre jugement ? Beethoven trouvait l’harmonie de ses symphonies trop encombrée de chromatismes.

Injustices ! Si Spohr resta jusqu’en ses ultimes opus un classique vivifié par le premier Romantisme, celui de Weber Continuer la lecture de Le chaînon manquant

La voix du rêve

Sena Jurinac fut d’abord de fabuleux personnages d’opéra, de Chérubin à Desdemona en passant par Fordiligi ou La Maréchale même si elle restera toujours pour moi Cherubino. Si vivante en scène, avec ce chant où les mots sont toujours à fleur de lèvres, même lorsqu’elle s’adonnait au récital de lieder.

Le disque n’a guère documenté cette part de son art ; en son glorieux automne, BASF lui offrira tout un récital Brahms dont l’élan restait magnifique, Fritz Busch lui fera enregistrer très tôt les Vier letzte Lieder, version où même le soleil a des ombres, inoubliable, mais la perle absolue est ce doublé Schumann pour les micros de Westminster en juin 1954.

Le piano modeste de Franz Holetschek s’accorde au fond parfaitement à l’humilité de ce Frauenliebe und -leben qui n’est qu’une prière fervente, moins peut-être au ton visionnaire, au théâtre qu’elle convoque dans le Liederkreis Op. 39, cette Lorelei, ce Clair de lune ne s’oublient plus une fois entendus, perfection du mot dans la note, transparence de l’émotion, et cette voix du bon Dieu, si longue dans son ambre.

Retrouver tout cela, réédité avec art d’après un très bon microsillon – le tirage du disque Westminster qui ajoutait les magies du Tramonto respighien ne s’est que très fugitivement trouvé et sonnait un rien sec (bien que disponible maintenant au téléchargement) – est une aubaine. Si vous ne connaissez pas ce diamant, courrez-y !

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann (1810-1856)
Frauenliebe und -leben, Op. 42
Liederkreis, Op. 39

Sena Jurinac, soprano
Franz Holetschek, piano

Un album du label Hännssler/Profil PH17042
Acheter l’album sur le site www.uvmdistribution.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR