Hommage

« In Memorian Lars Vogt » indique discrètement une notation au bas du recto. Une photographie du pianiste, tête penchée, yeux clos, comme à l’écoute, orne le verso du livret où Tanja et Christian Tetzlaff en conversation avec Friederike Westerhaus évoquent leur longue amitié avec le pianiste. Est-ce l’ami que semblent pleurer la violoncelliste puis le violoniste en phrasant avec tant d’ombres, de tels soupirs, leurs premières interventions ? Emouvant en tous cas, et indiquant d’emblée qu’en accord avec Paavo Järvi, ils feront pencher ce concerto-ballade vers une prégnante nostalgie, proposition qui me semble inédite dans la discographie relativement modeste de l’œuvre si on la compare à celle des trois autres opus concertants.

Les couplages pourraient sembler partiellement étonnants, non pour le Waldesruhe d’Antonín Dvořák, joué comme en rêve par Tanja Tetzlaff, mais du côté Viotti. Sembler seulement, Brahms chérissait l’œuvre et encouragea Joachim à la jouer, Christian Tetzlaff la sauve de cette virtuosité un peu tapageuse dont l’encombrait Isaac Stern, son archet lyrique magnifie le discours complexe de cette œuvre où deux mondes semblent se mirer : l’Adagio mozartien s’entoure d’Allegros capricieux ou tempétueux, un romantisme s’y affirme, qui n’aura pas échappé à l’auteur du Requiem allemand.

LE DISQUE DU JOUR

Johannes Brahms
(1833-1897)
Concerto pour violon et
violoncelle en la mineur,
Op. 102

Giovanni Battista Viotti (1755-1824)
Concerto pour violon et orchestre No. 22 en la mineur,
G. 97

Antonín Dvořák (1841-1904)
Waldesruhe (No. 5, extrait de « De la forêt de Bohème, Op. 68, B. 133 »

Christian Tetzlaff, violon
Tanja Tetzlaff, violoncelle
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Paavo Järvi, direction

Un album du label Ondine ODE1423-2
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Photo à la une : Paavo Järvi, entouré de Christian Tetzlaff et Tanja Tetzlaff – Photo : © DR

Concerto d’opéra

Dans sa jolie note d’intention, Pierre Génisson souligne l’univers spirituel qu’il entend dans le Concerto pour clarinette écrit pour Stadler, soulignant la proximité en loge maçonnique des deux musiciens.

Mais l’écoutant phraser avec émotion, infusant dans sa clarinette une palette de timbres relevés de dynamiques subtiles, tout un théâtre des sentiments (et souvent cueillant le plus secret de Mozart dans des pianissimos irréels, l’Adagio est hors du temps, peut-être s’y glisse-t-il en effet un peu de métaphysique), je me dis que ce disque penche plutôt du côté de opéras.

D’ailleurs Mozart l’y invite, et Pierre Génisson lui donne raison en piochant chez Cherubino, Dorabella, Despina, mettant des mots dans son instrument si vocal, et savourant le grand trio de Così fan tutte, autre moment suspendu.

Lorsque Karine Deshayes s’invite, faisant entendre sa voix qui s’est libérée vers l’aigu, l’opéra rayonne à plein, Pierre Génisson lui faisant duo pour son Sesto, qui serait en scène encore une de ses incarnations majeures, mais aussi pour Vitellia. Quel Rondo !, où le clarinettiste joue un sombre cor de basset.

C’est l’autre secret de ce disque accompagné avec tant d’éloquence par Concerto Köln et le jeune Jakob Lehmann, les instruments : clarinettes modernes parfois (et conçues pour ce disque), copies des instruments de Stadler. Le plus beau de tous ? La clarinette de basset du Concerto, palette de timbres irréels si proche de la voix humaine, dont les micros de Maximilien Ciup saisissent avec art la chair et les soupirs.

Coda toute spirituelle, et fascinant. Pour le Lacrimosa du Requiem à deux voix (et en re-recording), Pierre Génisson se dédouble : la clarinette double le cor de basset, s’ajoutent un orgue, et un glockenspiel ? un célesta ? Vous le découvrirez ici, et pour les Parisiens en concert au Théâtre des Champs-Elysées le mercredi 6 décembre 2023. Magique.

LE DISQUE DU JOUR

Mozart 1791

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Le nozze di Figaro, K. 492 (extrait : Aria, « Voi che sapete » – arr. pour clarinette : Bruno Fontaine)
Così fan tutte, K. 588 (3 extraits : Aria, « Come scoglio » ; Terzetto, « Soave sia il vento » ; Aria, « Una donna a quindici anni » – arr. pour clarinette : Bruno Fontaine)
Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur, K. 622
La clemenza di Tito*, K. 621 (2 extraits : Aria, « Parto, parto, ma tu ben mio » ; Recitativo accompagnato e Rondo, « Ecco il punto, o Vitellia … Non più di fiori vaghe catene »)
Requiem en ré mineur, K. 626 (extrait : VIII. Lacrimosa – arr. pour clarinette, orgue et Fender Rhodes : Bruno Fontaine)

Pierre Génisson, clarinette [de basset]
*Karine Deshayes, mezzo-soprano
Bruno Fontaine, claviers
Concerto Köln
Jakob Lehmann, direction

Un album du label Erato 5054197732331
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Photo à la une : le clarinettiste Pierre Génisson – Photo : © Emma Picq