Archives de catégorie : Discophilia. Les chroniques de Jean-Charles Hoffelé

Jean-Charles Hoffelé nous raconte ses écoutes, ses coups de coeur, ses déambulations dans la grande histoire de l’enregistrement du disque classique

Doublé Paavo Järvi

La gouaille des vents dans l’Allegro des Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Weber vous tirera les oreilles : quelle folie de jazz s’y invite, coruscante, chamarrée, une sorte de carnaval ivre qui pourrait sortir de la palette d’Ensor, et puis après cela musarde Continuer la lecture de Doublé Paavo Järvi

Les inattendus

Munich, mai 2011, Christian Thielemann, interprète inspiré de Bruckner, célèbre la mémoire de Gustav Mahler à l’occasion du centenaire de sa mort, alliant dans un même concert l’alpha et l’oméga de cet univers. Commençons à rebours de la soirée, par l’oméga, l’Adagio de la 10e Symphonie. Thielemann le prend plutôt fluide, désincarne la longue première phrase des cordes, avant de vous engager dans un vaste nocturne.

Sa réserve pudique, l’absence de pathos de son geste donnent un caractère lunaire à cette déambulation qui ici résonne en écho à l’Abschied du Chant de la terre comme rarement, emplie de silences subtilement réalisés où simplement évoqués par des pianissimos variés dans les couleurs même des timbres.

C’est confondant de poésie, réalisé avec un soin du détail, une maîtrise de l’agogique, des phrasés vocaux qui regardent vers un monde disparu. En rien la musique de l’avenir, même lorsqu’éclate le monolithe des cuivres, mais un adieu, une étreinte de sons en mode funèbre. Et toujours cette capacité sidérante à creuser l’espace vers le pianissimo.

Quelle maîtrise !, qui se fait aussi entendre dans les accompagnements ciselés de huit des Lieder du recueil Des Knaben Wunderhorn, ouvragés par le baryton tour à tour mordant ou élégiaque de Michael Volle. Les grands Lieder – Wo die schönen Trompeten blasen, mais surtout Urlicht – sont sciants à force d’élévation, la fantaisie entre conte et sarcasme de Rheinlegendchen génialement croquée, l’effroi de Das Irdische Leben qu’on entend trop peu souvent dans la voix d’un baryton, imparable, d’autant que l’orchestre se confond avec les intentions du chanteur, enlace ses couleurs à ses lignes. On aimerait bien par les mêmes les Lieder eines fahrenden Gesellen, les Kindertotenlieder, les Rückert, il n’est probablement pas trop tard pour Michael Volle, comme le prouve un éloquent album Wagner gravé en mai 2016 à Berlin.

Grand Hollandais devant l’éternel (Die Frist ist um débarrassé de toute noirceur superflue n’en est que plus percutant), il est ici tout à tour Wolfram (et avec quelle ligne !, qui n’oublie pas de faire sonner les mots), Amfortas bien sûr (la plainte, crucifiante), un Wotan dangereux, mais surtout un Hans Sachs de haut vol.

Il serait temps de le voir enfin enregistrer l’intégralité de ces rôles qui font le cœur de son répertoire, d’autant que Michael Volle est plutôt rare au disque. Du moins on en a, ici, l’essence.

Mais revenons à Christian Thielemann. Voici peu, il donnait avec ses Dresdois la 3e Symphonie de Gustav Mahler, à quand une parution ?

LE DISQUE DU JOUR

Gustav Mahler (1860-1911)
Des Knaben Wunderhorn (extraits : Nos. 1, 4, 5, 7, 8, 9, 11 & 12)
Symphonie No. 10 (extrait : I. Adagio)

Michael Volle, baryton
Münchner Philharmoniker
Christian Thielemann, direction
Un album du label Münchner Philharmoniker MPHIL007
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Richard Wagner (1813-1883)
Scènes et Airs tirés de : Die Meistersinger von Nürnberg WWV 96, Der fliegende Holländer WWV 63, Tannhäuser WWV 70, Parsifal WWV 111, Siegfried WWV 86C, Das Rheingold WWV 86A, Die Walküre WWV 86b

Michael Volle, baryton
Rundfunk-Sinfonie Orchestre Berlin
Georg Fritsch, direction
Un album du label Orfeo C904171A
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR

Bach de Pierre

La série des Concertos pour clavecin de Bach menée discrètement par Aapo Häkkinen et son Helsinki Baroque Orchestra invite pour son troisième volume l’ami Pierre Hantaï. Divine surprise d’une intégrale exemplaire qui fait Bach vivant et allègre, avec une vraie attention à ses polyphonies savantes, lui rend ses couleurs et surtout le débarrasse des raideurs qui auront trop souvent accompagné ce corpus, interprétations historiquement informées ou non.

Écoutez seulement le dialogue entremêlé du Largo du Concerto BWV 1060, ballet parfait, toucher impondérable, qui atteint une quasi abstraction. Mais lorsque le giocoso de l’Allegro du Concerto BWV 1061 paraît, quelle fête anime le modeste ensemble : à eux six, ils vous font un concert solaire.

Aux trois opus de Bach s’ajoute une merveille mais déjà d’un autre temps : le Concerto en fa majeur de Wilhelm Friedemann Bach, pourtant contemporain du Concerto a due cembali de son père, mais pétri d’Empfindsamkeit, développant derrière ses fantaisies ultramontaines un discours du sensible, des affects, une sensualité brillante et pourtant un peu inquiète où les deux amis font à eux seuls un orchestre plein de fantaisie. Ils devraient penser à nous offrir un plein album de ces concertos à deux clavecins qui fleurirent dans la littérature de l’instrument.

Autre sujet, et cette fois affaire de famille : les quatre Sonates écrites par Johann Sebastian Bach sur une distance de vingt ans pour le traverso et le clavecin où Pierre rejoint son frère Marc qui y ajoute la magnifique Partita pour flûte seule.

Celle-ci serait-elle le chef-d’œuvre le moins couru de Bach ? L’aurait-il écrite pour Buffardin alors en séjour à Dresde ? L’œuvre fascine par ses figures parfaites, où se mêlent les styles français et italien, suite de danses certes, mais aussi partition qui tend à une abstraction digne de L’Offrande musicale. Marc Hantaï la fait danser autant qu’il en ordonne les jeux savants, mettant en lumière la nudité de son discours.

Fascinant, tout comme les quatre Sonates avec clavecin ou basse continue, Pierre Hantaï choisissant toujours d’être seul avec son frère : ensemble, ils magnifient le discours, les danses, les formes en les essentialisant : plus un seul décor mais la perfection des textes rayonnant seuls. Cela suffit à faire de cet album l’un des tous grands disques Bach de ce début du XXIe siècle.

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour deux clavecins, cordes et basse continue en ut mineur, BWV 1060
Concerto en ut majeur, BWV 1061
Concerto en ut mineur, BWV 1062
Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784)
Concerto pour deux clavecins en fa majeur, Fk 10

Aapo Häkkinen, clavecin, direction
Pierre Hantaï, clavecin
Helsinki Baroque Orchestra
Un album du label Aeolus AE-10087
Acheter l’album sur le site du label Aeolus, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com


Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sonate pour flûte et clavecin en mi majeur, BWV 1035
Sonate pour flûte et clavecin en si mineur, BWV 1030
Sonate pour flûte et clavecin en mi mineur, BWV 1034
Partita pour flûte seule en la mineur, BWV 1013
Sonate pour flûte et clavecin en la majeur, BWV 1032

Marc Hantaï, traverso
Pierre Hantaï, clavecin
Un album du label Mirare MIR370
Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : © DR