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Voyage initiatique

Sont-ce des paysages ou des portraits de voyageur dans des paysages ? Francesco Piemontesi joue la part la plus pure des Années de pèlerinage, l’édénique Suisse, dans une sorte de distance rêvée qui dès Au lac de Wallenstadt semble annoncer les derniers opus de Liszt.

La dimension poétique du cahier est ici poussée jusqu’à une sorte d’intemporel, la Pastorale flirte avec Scarlatti, Les cloches de Genève ont quelque chose de ravélien, histoire de rappeler que dans Liszt, tous les claviers passés s’incarnent mais que ceux du futur s’y devinent aussi.

La beauté plastique du jeu est étourdissante à force de pureté et d’exactitude, avec une économie du jeu de pédale, une science du toucher qui colorent les harmonies, leur donnent une dimension orchestrale et permettent aussi une certaine stylisation comme dans un Orage maîtrisé, alors que tant s’y déboutonnent au point de faire écrouler leurs claviers. Ici on voit l’écharpe de nuage déchirée par le roc de l’aiguille.

Mais c’est la pudeur qui reste le maître-mot de ce grand piano si élégant, si intense, qui phrase dans l’ombre le chant byronien de la Vallée d’Obermann, suggère une danse imaginaire dans l’Eglogue ou questionne l’étrange formule qui ouvre Le mal du pays, vraie question sans réponse.

Admirable disque auquel la caméra de Bruno Monsaingeon apporte l’image, et qui laisse espérer qu’après la part suisse, Franceso Piemontesi nous offre bientôt les deux autres années.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Liszt (1811-1886)
Années de pèlerinage I, S. 160 « Suisse »
Saint François de Paule marchant sur les flots, Légende S. 175/2

Francesco Piemontesi, piano

Un album du label Orfeo C9441821
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Photo à la une : Le pianiste suisse Francesco Piemontesi – Photo : © Marco Borggreve

Musiques de l’avenir

Belle idée : confronter les pièces méditatives, de forme libre, d’harmonies divagantes, où Liszt aura projeté son piano vers les temps futurs, nocturnes italiens de la Deuxième Année de pèlerinage ou les pièces de la fin, avec le nouveau monde dont Debussy ouvre grand les portes dans son Premier Livre de Préludes.

Christian Erny, tout juste trentenaire aujourd’hui (il avait vingt-huit ans lors de l’enregistrement), aura réalisé avec son premier album un vrai disque pour les musiciens. Son piano ample, où tout est porté par un corps harmonique surprenant, rappelle celui des grands anciens.

La concentration minérale des sonorités de son Premier Livre m’évoque rien moins que Claudio Arrau, l’absolue rectitude du texte, l’absence de toute tentation illustrative, la densité des phrasés – écoutez à quel point Voiles est dessiné – seraient déjà la signature d’un grand artiste.

Mais il y a une vision supplémentaire, un art de créer le mystère qui fait défaut si souvent aux interprètes de Debussy aujourd’hui. Le temps est suspendu plus d’une fois, même dans les Préludes rapides : Le vent dans la plaine hypnotise, qui ramène un rire des lointains. Et lorsque l’espace de ce clavier s’ouvre, c’est une poésie saturée d’intensité expressive qui emplit Les sons et les parfums dansent dans l’air du soir, immatériels mais pourtant incarnés, où le vaste vaisseau harmonique de La Cathédrale engloutie.

Au point que les Liszt passent malgré eux, malgré leurs parfaites réalisations, derrière ce Premier Livre qui ne cesse de me fasciner : je l’écoutais en regard du Second Livre de Pollini, leur trouvant des connivences. Alors Christian Erny, s’il vous plait, votre Deuxième Livre !

LE DISQUE DU JOUR

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent

Claude Debussy (1862-1918)
Préludes, Livre I, L. 117
Franz Liszt (1811-1886)
Années de pèlerinage, 2è année, S. 161 (extraits : Sposalizio, Il pensieroso)
Unstern! Sinistre, disastro, S. 208
En rêve (Nocturne), S. 207

Christian Erny, piano

Un album du label Solo Musica SM238
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Photo à la une : © DR