Pierre Hantaï ou la Fabrique du Son

J’écoute en boucle les Gavottes de la Suite anglaise en ré mineur. Ce clavier cambré, ce phrasé impérieux, cette main gauche où chante une viole, et surtout cette lumière, évidemment on songe à Gustav Leonhardt, mais aussi à Sviatoslav Richter !

Assez ! Pierre Hantaï joue de chez lui, même si en conscience il sait auprès de qui il s’est nourri, et les doigts et l’âme. Ce Bach rayonnant, alerte, simple mais expressif, ferait mentir une relative réputation de sévérité qui a collé un temps à l’artiste. Ici, il n’y a qu’un bonheur contagieux et exigeant, et du propos comme on n’en a pas entendu depuis longtemps dans un disque d’œuvres de clavecin de Bach.

C’est d’ailleurs le sens fulgurant du discours qui forme tout – les ornements, les phrasés, la conduite, les suspensions (justement les trois derniers accords des Gavottes, juste le temps d’un aller-retour, comme le dernier battement d’un balancier), les couleurs, la projection – et c’est par sa logique interne que le son se crée, solaire, sans ombre(s), dense comme du basalte, lumineux comme une étoile.

Cet art de sculpteur dont la vigueur repousse le débat Bach clavecin versus piano aux oubliettes trouve infailliblement la pensée du compositeur, et domine son langage : oui, les polyphonies équilibrées et puissantes sont admirables, suffocantes parfois, mais ce qui surprend encore plus reste la ligne mélodique qui envahit à mesure la Sarabande de la Suite en la, énoncée puis chantée avec un art vocal sciant. Et là, vraiment dans cette nudité, dans la transparence de cette lumière coulée d’un Vermeer, impossible de ne pas lire l’hommage à Leonhardt.

Album impressionnant et pourtant accessible, Pierre Hantaï dit sans cesse toute la complexité de Bach sans l’assécher. Point de scolastique, et guère plus de rhétorique d’ailleurs, car cette perfection cherche un absolu poétique, une utopie. Le son, le son irradiant, la vitalité des rythmes qui emporte les Bourrées et la Gigue de la Suite en la, sonnent comme des manifestes.

Et si Bach avant tout était cette omniprésence du son ?

LE DISQUE DU JOURcover bach hantaï mirare

Johann Sebastian Bach (1685-1750)

Suite anglaise No. 2 en la mineur, BWV 807
Suite anglaise No. 6 en ré mineur, BWV 811
Fantaisie en la mineur, BWV 944
Concerto Italien en fa majeur, BWV 971

Choral „Wer nur den lieben Gott lässt walten“, BWV 690/691
Choral „Jesus, meine Zuversicht“, BWV 728
Choral „Liebster Jesu, wir sind hier“, BWV 706

Pierre Hantaï, clavecin

Un album du label Mirare MIR251

Photo à la une : (c) DR