Le maître des claviers

Bach admirait les talents de claviériste de Haendel, à l’orgue comme au clavecin, mais le théâtre allait ravir le jeune homme, le détournant vers un monde que Bach n’ignorera pas au point qu’on peut croire : le journal de ses cantates est aussi un théâtre.

Mais revenons à Haendel. Les clavecinistes imposant les merveilleux décors sonores que les instruments « historiques » pouvaient enfin faire paraître grâce à la magie des micros, se ruèrent sur Bach, s’y formèrent goût et sens, Gustav Leonhardt scellant tout cela. Les Français, Couperin, Rameau et la théorie des tardifs, eurent leurs apôtres, Ruggero Gerlin le premier et tenant son art de Wanda Landowska (à quand une réédition de son fort coffret pour L’Oiseau-Lyre) alors que les clavecins historiques étaient encore au musée mais déjà « touchés », Kenneth Gilbert l’osant aussi intégral. Blandine Verlet, Olivier Beaumont, Christophe Rousset suivront avec les bonheurs que l’on sait. Mais Haendel ?

Les clavecinistes savaient, depuis Landowska, l’existence des Suites, ils le savaient plus encore par les pianistes : Glenn Gould l’osa sur un instrument indescriptible, Sviatoslav Richter s’était partagé avec Andrei Gavrilov, sur un piano sans équivoque, une intégrale du clavecin de Haendel ; bien avant eux, Eric Heidsieck les jouait toutes, y consacrant un de ses premiers disques, et finira par les enregistrer au complet.

Coup de théâtre, Blandine Verlet se les appropria avec des libertés insensées, et un panache fou qu’avait envisagés Ruggero Gerlin pour quatre Suites seulement. Scott Ross proposa un éclairage plus français encore, s’y souvenant de son maître Kenneth Gilbert, les présentant dans des lumières intimes, et un discours très (trop ?) uni. Le théâtre de Blandine Verlet est loin, mais les portraits sont là, qui pourtant ne font pas rayonner les splendeurs des formes, l’ardeur du discours qui semblaient bel et bien perdus pour les clavecinistes depuis le génie physique qu’imprimait Wanda Landowska sur son Pleyel.

Pierre Hantaï n’en est pas si loin d’elle, qui sait ce que dire veut dire, écoutez seulement la grande phrase de l’Adagio qui ouvre la Suite en fa majeur : c’est une sonate lente de Scarlatti, il sait ce que cela veut dire, et sait le faire entendre, Scott Ross l’aurait pu s’il avait enregistré ses Haendel non pas avant son intégrale Scarlatti, mais pendant ou après.

Car c’est là un des secrets de l’art que Haendel met à ses Suites, elles sont des goûts réunis où toute l’Europe baroque paraît, justement l’Allegro qui suit marie la danse française et la ligne de Bach. Pour animer un tel théâtre, il faut un interprète qui ose, et a les moyens de sa politique. Pierre Hantaï, sur son magnifique Knif prêté par Olivier Fortin, aurait-il trouvé l’instrument idéal pour Haendel ? Certainement !, de couleurs, de timbres, de cantabile dans les ornements si poivrés, et simplement de présence harmonique.

Le discours magistral n’oublie pas le sensible : le brillant a du nerf, l’invention est partout (les Variations de la Suite en ré mineur). La prise de son rend justice à l’instrument, et le texte de Gaëtan Naulleau sera un guide précieux.

LE DISQUE DU JOUR

Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Suite pour clavecin en la majeur, HWV 426
Suite pour clavecin en fa majeur, HWV 427
Suite pour clavecin en ré mineur, HWV 428
Fugue en ut mineur, HWV 610
Suite pour clavecin en mi mineur, HWV 429

Pierre Hantaï, clavecin

Un album du label Mirare MIR480
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le claveciniste Pierre Hantaï – Photo : © Jean-Baptiste Millot