La Suite oubliée

Isabelle Faust et ses amis révèlent les deux Pièces pour violon, alto et piano coulées de la plume d’un adolescent de seize ans. Benjamin Britten aussi bien que son mentor, Frank Bridge, pouvaient tenir la partie d’alto (et Bridge aussi celle de violon), mais l’œuvre surprend d’abord par sa modernité. Britten fut-il jamais aussi près de Berg ? L’influence de Bridge, ce parangon des Modernes, est omniprésente au long de ces deux pages exceptionnelles par la maîtrise de l’écriture, l’audace du discours : un ajout majeur à verser au dossier de la découverte toujours en cours du premier Britten, dont l’inventivité débridée avive aussi les deux opus composées cinq ans plus tard pour Antonio Brosa, le futur créateur du Concerto pour violon.

La Suite, Op. 6, écrite sous le coup de la découverte du Concerto « À la mémoire d’un ange », n’en porte pourtant pas trace. Elle est belle comme un caméléon, changeant sa robe à chaque pièce. Une pointe de Stravinski emporte la Marche, le Moto perpetuo surprend par son alacrité, l’écriture impertinente s’apaisera seulement pour le nocturne de la Berceuse, merveille suspendue entre terre et ciel. Toutes les caractéristiques de jeu de Brosa, en particulier son art de filer sur la chanterelle, paraissent dans cette « suite-portrait », ainsi que dans le clin d’œil de ce Réveille qui moquait le lever tardif du violoniste (alors que Britten était un matinal incorrigible).

Isabelle Faust et Alexander Melnikov s’amusent de ces deux satellites, les plaçant après le Concerto, chef-d’œuvre du genre chez Britten que la violoniste propose dans sa version révisée et enregistre en concert sous la battue atmosphérique de Jakub Hrůša.

Lecture fiévreuse, des suspensions de l’intrada au grand caprice du Final, Isabelle Faust faisant entendre plus qu’en aucune autre version les échos du Concerto de Berg dont l’emprise sur le compositeur s’était augmentée. Sous son archet volontiers sombre, l’œuvre prend des teintes tragiques, et la coda rappelle en effet celle du chef-d’œuvre de Berg. Au fond, ce Concerto est un adieu, le dernier opus avant l’exil au Canada, alors que l’Europe allait sombrer dans le chaos.

LE DISQUE DU JOUR

Benjamin Britten (1913-1976)
Concerto pour violon et orchestre, Op. 15
Réveille, étude de concert
Suite pour violon et piano,
Op. 6

2 Pièces pour violon, alto et piano

Isabelle Faust, violon
Alexander Melnikov, piano
Boris Faust, alto
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks
Jakub Hrůša, direction

Un album du label harmonia mundi HMM902668
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Photo à la une : la violoniste Isabelle Faust – Photo : © DR