Pyrotechnie

Fatal !, Max Emanuel Cenčić et son entourage de falsettistes devaient bien faire des ouvrages lyriques de Porpora l’objet central de leur insatiable appétit de découverte.

Porpora est à lui seul un continent lyrique que l’on commence seulement à explorer : plus de cinquante opéras !, qui tentèrent de disputer vainement la primauté du genre à Haendel. Vienne ne goutât guère ses ouvrages, mais il y fut le professeur de Haydn qui dans ses opéras se souviendra du charme mélodique et de l’écriture volatile des œuvres de son professeur. Londres lui fut plus favorable, un cercle de mécènes éclairés fondant pour la création de ses opéras la classieuse société Opera of the Nobility, Las !, Haendel l’éclipsa progressivement, le ramenant à cette Italie où du moins Venise, Rome et Naples, sa patrie, restèrent fidèles à son style sur-orné, à sa si séduisante facilité mélodique.

Écrit pour Rome, qui le créa au Teatro delle Dame au printemps de 1738, Carlo il Calvo nous plonge dans les intrigues qui suivirent la mort de Louis le Pieux, prétexte à un livret habilement troussé, plus dramatique que bien des opéras du Napolitain, avec un projet de meurtre sur une mère et son fils, ce dernier nommant l’opéra : Carlo il Calvo, désigné pour succéder à Louis le Pieux, n’a que six ans et pour seul protection sa mère Giuditta. L’intensité de l’ouvrage ne prive pas Porpora de déployer toutes les merveilles de son chant orné, surclassant le Carlo, Re d’Allemagna d’Alessandro Scarlatti (voir l’enregistrement de Fabio Biondi chez Agogique), également pour le sens dramatique qu’arde la direction flamboyante de George Petrou.

Rome oblige, ce Charles le Chauve sera créé par une troupe uniquement constituée de castrats. Max Emanuel Cenčić ne va pas jusque-là, il le pourrait ayant dans son cercle assez de falsettistes, mais comment se passer de Julia Lezhneva et de ses pyrotechnies stellaires pour Giuditta ?

Le maître d’œuvre revient au rôle de Lottario dont il avait déjà gravé quelques arias au long de ses récitals, quelle merveille que son grand air de l’Acte II (Quando s’oscura il ciel), Bruno de Sá est idéal pour le rôle en demi-teinte de Berardo, belles surprises l’Eduige de Nian Wang, mezzo ambré, et le parfait Asprando de Petr Nekoranec. La troisième étoile de cette gravure réalisée en studio à Athènes, après que l’œuvre fut montée au Festival de Bayreuth, c’est Adalgisio. Une fois encore, Franco Fagioli délivre de son mezzo somptueux une éblouissante leçon de virtuosité dont le belcanto n’est jamais absent.

Du temps de Londres – il fut créé au bord de la Tamise le 1er février 1735Polifemo montre des ambitions supplémentaires, autant par l’habile livret de Rolli qui rassemble le meurtre d’Aci par Polifemo et l’aveuglement du cyclope par Ulysse, que par l’invention musicale débridée qu’y développe Porpora.

Est-ce la nécessité de rivaliser avec Haendel, le sujet pris à l’antique, qui lui inspirent un orchestre autrement inventif et un chant où l’espressivo l’emporte sur la pure virtuosité de parade, quoi qu’il en soit on tient certainement l’un des chefs-d’œuvre de Porpora, il suffit d’écouter la prégnante nostalgie de l’air de remerciement à Jupiter d’Aci à l’Acte III après sa métamorphose en source divine pour s’en convaincre.

Aci c’est Yuri Mynenko, lignes pures, timbre opulent, voix longue et flexible si sensible aux mots, il est l’autre héros de cette fable mythologique avec l’Ulysse de Max Emanuel Cenčić, héroïque et futé à la fois face à l’incroyable cyclope tonitruant et pourtant touchant incarné par Pavel Kudinov.

Magnifique évidemment Julia Lezhneva, tout comme la Calypso envoûtante de Sonja Runje, mais écoutez aussi le mezzo leste de Narea Sun que n’effraye aucune vocalise : « Une belta che sa » au début de l’Acte II vous convaincra qu’elle pourrait être bientôt une rossinienne stylée.

Toute l’équipe de chant ressuscite le niveau de celle, si relevée, de la création. Conscient de la valeur de l’ouvrage, Senesino quitta la troupe de Haendel pour celle de l’Opera of the Nobility, entraîinant avec lui la Cuzzoni, Francesca Bertolli, Antonio Montagnana, Farinelli les rejoignant. Cet âge d’or du bel canto chez Porpora rayonne enfin dans toute sa gloire, emporté par la battue spectaculaire de George Petrou.

Si, pour le prochain opéra, Max Emanuel Cenčić et sa vaillante troupe, pouvaient révéler Arianna in Nasso qui avait ouvert avec tant de brio la parenthèse londonienne.

LE DISQUE DU JOUR

Nicola Antonio Porpora (1686-1768)
Carlo il Calvo

Franco Fagioli,
contre-ténor (Adalgiso)
Max Emanuel Cenčić, contre-ténor (Lottario)
Julia Lezhneva,
soprano (Gildippe)
Suzanne Jerosme,
soprano (Giuditta)
Petr Nekoranec, ténor (Asprando)
Bruno de Sá, sopraniste (Berardo)
Nian Wang, mezzo-soprano (Eduige)

Armonia Atenea
George Petrou
Un livre-disque du label Parnassus Arts Productions PARATS002
Acheter l’album sur le site du label Parnassus Arts Productions ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-d finition sur Qobuz.com

Nicola Antonio Porpora (1686-1768)
Polifemo

Yuriy Mynenko,
contre-ténor (Aci)
Max Emanuel Cenčić, contre-ténor (Ulisse)
Pavel Kudinov,
baryton-basse (Plifemo)
Julia Lezhneva, soprano
(Galatea)
Sonja Runje, contralto (Calipso)
Narea Son, soprano (Nerea)

Armonia Atenea
George Petrou
Un livre-disque du label Parnassus Arts Productions PARATS003
Acheter l’album sur le site du label Parnassus Arts Productions ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-d finition sur Qobuz.com

Photo à la une : les contre-ténors Max Emanuel Cenčić et Franco Fagioli dans les représentations de Carlo il Calvo de Porpora, à Bayreuth –
Photo : © Falk von Traubenberg