Exhumation

L’éditeur indique : « enregistré dans la Salle de bal du Château de Lancut durant les années 1970 », c’est assez dire que la bande (de concert ? ou simplement un enregistrement de caractère privé comme Malcolm Frager en avait l’habitude, et qu’il réservait à son usage personnel, surtout lorsqu’il jouait des instruments historiques) est une sorte de miraculée exhumée des archives pour être immortalisée sur le support numérique.

Le témoignage est doublement précieux : l’héritage discographique de Malcom Frager, si dispersé entre des éditeurs dont certains ont disparu (BASF par exemple) aura condamné son art à l’oubli : plus rien ne s’en trouve aisément sinon ses participations à l’intégrale de l’œuvre symphonique de Richard Strauss signée par Rudolf Kempe. Sony nous doit un petit coffret où pourrait reparaître son sidérant Deuxième Concerto de Prokofiev (avec Leibowitz) ; plus éclairant encore, cet album Schumann nous fait entendre ce génie sur un étonnant piano historique apparemment très peu ravalé, débordant de couleurs, et signé par un facteur provincial relativement peu connu, le type même des instruments que Robert Schumann a pu jouer.

Malcolm Frager en tire une interprétation très sombre des Etudes symphoniques, surprenante par sa concentration, son absence de charme, un « drive » assez beethovénien, qui rappellent à quelle hauteur de vue il envisageait chacune de ses interprétations. Dommage que les variations posthumes n’y soient pas incluses.

Le ton halluciné de la Deuxième Sonate saisit dès l’intrada, le clavier court crépite, la puissance visionnaire du geste est simplement inouïe jusque dans la nudité des moments de repli, impossible de ne pas rester comme suspendu au bord du gouffre par cette lecture vertigineuse qui regarde l’abime sans ciller.

Admirable album, qui ressuscite un maître pianiste que l’on était en train d’oublier.

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann
(1810-1856)
Études symphoniques, Op. 13
Sonate pour piano No. 2 en sol mineur, Op. 22

Malcolm Frager, clavier
(fortepiano Peter Rosenberger, Wieden, 1845)

Un album du label de l’Institut Chopin NIFCCD100
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Photo à la une : le pianiste Malcolm Frager – Photo : © DR