Rachmaninov chez lui

Certains l’auront peut-être oublié, mais Rachmaninov, dans son exil américain, était d’abord chez lui à Philadelphie, dans l’amitié chaleureuse de Leopold Stokowski et d’Eugene Ormandy, au concert comme à la ville, et chez ce dernier pour de nombreux raouts où le compositeur essayait sur le Steinway de la maison ses Danses symphoniques : Ward Marston en a publié les faramineux échos que j’avais fêtés ici.

Evidemment, Yannick Nézet-Séguin devait, mais surtout voulait, graver un nouveau cycle Rachmaninov avec ses Philadelphiens, accompagnant avec poésie et brio les Concertos et la Rhapsodie sur un thème de Paganini pour Daniil Trifonov, ardant hier d’un même geste la si difficile Première Symphonie et les Danses symphoniques. Le grand œuvre restait pourtant à venir.

La Deuxième Symphonie est un piège pour les chefs d’orchestre, elle les invite à la paresse, à la contemplation, aux portamentos et au narcissisme. Yannick Nézet-Séguin préfère la steppe, l’immensité, porté par un sostenuto qui peint à fresque et embarque l’émotion sur l’un des plus beaux orchestres du monde. Les Philadelphiens respirent cette musique depuis les années quarante et la surchargent d’oxygène. Même si les musiciens ont changé, l’esprit demeure, et la lettre ! Pas une coupure, comme l’avait voulu le premier André Previn (Svetlanov fit toujours de même, et Khaïkine avant lui, mais ce privilège restait aux Russes), et surtout pas un gramme de sucre : écoutez la clarinette dans son rêve au début de l’Adagio, irréelle à force d’émotion.

Et la Troisième Symphonie ? Yannick Nézet-Séguin sait qu’elle est une œuvre radicale, un des testaments du compositeur, et aussi en quelque sorte une partition devenue américaine, ce qu’il fait sentir dans sa lecture opulente et névrotique à la fois, avant que l’implacable crescendo de L’île des morts ne vienne clore l’album, rappelant les gestes définitifs de Serge Koussevitzky et de Fritz Reiner, rien moins…

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Symphonie No. 2 in mi mineur, Op. 27
Symphonie No. 3 en la mineur, Op. 44
L’île des morts, Op. 29

The Philadelphia Orchestra
Yannick Nézet-Séguin, direction

Un album de 2 CD du label Deutsche Grammophon 4864775
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Photo à la une : le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin – Photo : © Hans van der Woerd