Né pour Rachmaninov

Bruxelles, Concours Reine Elisabeth, Edition 2016, Lukáš Vondráček déchaine l’enthousiasme du public avec une interprétation homérique du Troisième Concerto.

Rachmaninov était au centre de son art depuis l’adolescence ; son piano intense, capable de soudaines introspections, à l’ambitus dynamique vertigineux, forte de cuivre, pianissimo insondable, en possédait d’emblée la dimension orchestrale, y compris des couleurs à foison.

L’écho de ce concours a fait grand bruit, mais en l’absence d’éditeur je me demandais si jamais le pianiste pourrait l’enregistrer spécifiquement pour le disque. Des amis tchèques m’annoncèrent la bonne nouvelle ; non seulement Lukáš Vondráček enregistrait le 3e Concerto, mais également les trois autres et la Rhapsodie. La Covid aura permis cela, l’Orchestre Symphonique de Prague privé de concert accueillait le projet sous la baguette d’un proche du pianiste, Tomáš Brauner, et l’équipe de Supraphon enregistrait ! Cinq généreuses sessions de février à octobre 2021.

Significativement, Lukáš Vondráček commence son enregistrement par le Quatrième Concerto, celui qu’il joua en premier et qui reste son opus favori de Rachmmaninov, comme il le confie à Martin Rudovský lors de l’entretien reproduit dans le livret.

II choisit l’ultime version de cette partition que Rachmaninov reprit par trois fois (1926, 1928, 1941), arguant d’une modernité plus assumée – le compositeur condensa son propos, on s’en rend compte depuis que la version originale a été divulguée – qu’il saisit avec une ardeur percussive ravageuse. Quelle musique !. Ainsi interprété, ce 4e Concerto est assurément l’un des chefs-d’œuvre du compositeur. Mais écoutez aussi le presque-rien de son, le phrasé intériorisé du Largo, si noir, si désespéré et sans l’ombre de pathos.

Chaque concerto est individualisé, le Premier flamboyant, athlétique (Vondráček m’y rappelle Sergio Fiorentino, mêmes tempos, mêmes accents, même furia débordante dans le Finale), le Deuxième lyrique et sombre jusque dans un Finale incendiaire, et le Troisième telle une immense rhapsodie où la poésie alterne avec des échappées épiques : soudain le piano devient un instrument au sein de l’orchestre, Vondráček et Brauner le pensent non plus comme un concerto, mais comme une symphonie.

Fabuleuses Variations Paganini où le virtuose déboutonne un jeu entre muscle et griffe, étourdissant à force de virtuosité. Les accents, les timbres, l’alacrité sonore et les rythmes inextinguibles du Symphonique de Prague entrent dans ce jeu si physique, donnant un relief saisissant à cette intégrale majeure.

Un bonheur n’arrivant jamais seul, Deutsche Grammophon réédite dans un joli coffret de trois CDs le cycle gravé à Philadelphie par Daniil Trifonov et Yannick Nézet-Séguin déjà commenté dans ces colonnes (voir ici), l’assortissant d’un Blu-Ray audio reprenant l’intégrale des 3 CDs. Le Quatrième Concerto, là encore l’élément le plus spectaculaire de cette intégrale (décidément !), enregistré en concert, est magnifié par ce standard qui avive encore une lecture tout sauf prudente.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninov (1873-1943)

Concerto pour piano No. 1
en fa dièse mineur, Op. 1

Concerto pour piano No. 4
en sol mineur, Op. 40

Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43
Concerto pour piano No. 2
en ut mineur, Op. 18

Concerto pour piano No. 3 en ré mineur, Op. 30

Lukáš Vondráček, piano
Orchestre Symphonique de Prague
Tomáš Brauner, direction
Un album de 2 CD du label Supraphon SU4323-2
Acheter l’album sur le site du label Supraphon, sur le site www.clicmusique.com, ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Sergei Rachmaninov (1873-1943)

Concerto pour piano No. 1
en fa dièse mineur, Op. 1

Concerto pour piano No. 2
en ut mineur, Op. 18

Concerto pour piano No. 3
en ré mineur, Op. 30

Concerto pour piano No. 4
en sol mineur, Op. 40

Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43
Vocalise, Op. 34 No. 14
Les Cloches, Op. 35 (extrait : I. Allegro ma non tanto ; arr. Trifonov)
Johann Sebastian Bach (1873-1943)
Partita pour violon seul No. 3 en mi majeur, BWV 1006
(3 extraits : I. Preludio, III. Gavotte, VI. Gigue ; arr. pour piano seul : Rachmaninov)

Daniil Trifonov, piano
The Philadelphia Orchestra
Yannick Nézet-Séguin, direction
Un coffret de 3 CD et 1 Blu-ray Audio du label Deutsche Grammophon 4863405
Acheter l’album sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le pianiste Lukáš Vondráček – Photo : © DR