Bons souvenirs de Philadelphie

Le timbre d’argent qui ouvre le premier volet du chef-d’œuvre choral de Rachmaninov, Les Cloches, résonne dans l’aigu du clavier avant que tout le meuble n’y fasse résonner l’orchestre : le ténor prononce son « Entendez ! » magique : deux notes, puis une liesse de sons, mais quel génie ! dans cette transcription que la gourmandise de Daniil Trifonov pour tout ce que Rachmaninov n’aura pas écrit pour le piano lui aura commandé de placer en tête du second volume de son intégrale des Concertos.

J’avais un peu négligé le premier album, encore froissé par son épuisante et si métallique (la prise de son ?) intégrale des Etudes d’exécution transcendante de Liszt, j’avais tort, déjà dans les abymes maîtrisés du Deuxième Concerto, dans l’électricité fulgurante du Quatrième, il avait abandonné les façons, les manières, les singularités qui chez Chopin surtout lui faisaient trop dire « moi je », la direction classique et fusante de Yannick Nézet-Séguin, la présence pour ainsi dire philologique de l’Orchestre de Philadelphie, formation Rachmaninov par excellence depuis Stokowski et Ormandy, l’inspirant. Trifonov ajoutait la Suite que Rachmaninov avait tirée de la Partita pour violon BWV 1006.

Allez, le second volume est tout aussi éblouissant et peut-être même plus encore. Preste, drastique, d’une énergie assez folle dans le Finale, leur Premier Concerto est un modèle de style, ils y osent cette tension si particulière, un rien névrotique, qui rend la musique de Rachmaninov si adictive. Comme un postlude au Concerto, Trifonov ajoute dans des teintes très sombres la transcription de Vocalise, façon de rappeler que l’échec rencontré par l’Opus 1 entraîna la dépression que l’on sait.

Le Troisième Concerto est une splendeur, une symphonie avec piano où Yannick Nézet-Séguin dore les paysages dépeints par les philadelphiens, lecture d’une cohérence, d’une ampleur, d’une simplicité surtout qui convoque le souvenir de la gravure du compositeur.

Le pianisme solaire de Trifonov y est aujourd’hui probablement unique : écoutez seulement le passage ornementé de l’Intermezzo, merveille pas entendue ainsi depuis le disque assez peu connu de Jorge Bolet et Ivan Fischer. Maintenant, il faut que je réécoute leur Rhapsodie sur un thème de Paganini. Irais-je cette fois encore à Canossa ?

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en ut mineur, Op. 18
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol mineur, Op. 40
Suite d’après la « Partita pour violon seul No. 3 en mi majeur, BWV 1006 » de J. S. Bach

Daniil Trifonov, piano
The Philadephia Orchestra
Yannick Nézet-Séguin, direction
Un album du label Deutsche Grammophon 4835335
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Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en fa dièse mineur, Op. 1
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ré mineur, Op. 30
Les Cloches – extrait : I. Allegro ma non tanto (arr. Trifonov)
Vocalise, Op. 34 No. 14 (arr. Trifonov)

Daniil Trifonov, piano
The Philadephia Orchestra
Yannick Nézet-Séguin, direction
Un album du label Deutsche Grammophon 4836617
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Photo à la une : le pianiste russe Daniil Trifonov – Photo : © DR