Erica

Une violoniste pour les violonistes ? La sonorité discrète, peu encline à charmer, et allant même contre le sublime Stradivarius qu’elle joua sa vie durant (le Davidov, on lui cacha son vol peu de temps avant sa mort) rappelle que toute héritière de la grande école tchèque qu’elle fut, c’est d’abord l’enseignement d’Adolf Busch qui la transmua de gamine virtuose en prêtresse de son instrument. L’empereur François-Joseph l’entendit enfant, elle réussissait ce grand écart entre le violon romantique et le nouveau violon quasi malgré elle, entre deux mondes que la Grande Guerre scinda à jamais.

Deutsche Grammophon reprend à l’identique, sans les pochettes d’origine reproduites sur chaque disque (mais le livret en dévoile la plupart), le coffret publié par la branche coréenne d’Universal, qui rendait le legs à son label d’origine majoritaire, Westminster. Tout n’est pas ici à la hauteur de la réputation d’une artiste un rien mythifiée.

La sonorité étriquée de son violon dépare les concertos, surtout celui de Brahms (alors que le Glazounov sous la baguette vive de Ferenc Fricsay semble raviver la flamme virtuose de sa jeunesse et expose la donnée principale de son art : le chant), ses Mozart et ses Bach sont datés, et pas seulement par les orchestres, modestes.

Les albums de virtuosité – le LP Tartini, célébrissime chez ses inconditionnels et celui avec la Sonate de Nardini me laissent indifférents, sa présence discrète au sein du quatuor emmené par Felix Galimir, pour tout dire anecdotique.

La violoniste Erica Morini – Photo : © DR

En 1955, un récital de pièces brèves avec l’apport inspiré de Leon Pommers change la donne. À cinquante ans passés, son archet semble plus libre et sait émouvoir : la Sicilienne de Paradis est une merveille, les Kreisler assez fabuleux en dehors du pur charme. L’année suivante, toujours avec Leon Pommers, les deux dernières Sonates de Brahms la montrent liedersängerin, l’émotion à fleur d’archet jusque dans cette retenue du son.

Les deux albums n’étaient qu’un prélude. La stéréophonie venue va donner du corps à ce violon qui en manquait, surtout Erica Morini trouve enfin son alter ego, pour la poésie comme pour la fièvre : Rudolf Firkušný.

Franck, Mozart, Beethoven, Brahms, quatre albums où seront enclos tous les secrets de son art, portamentos et vibratos mesurés employés toujours à des fins expressives, et surtout ce chant infini, modeste de sonorité pour mieux émouvoir. Oui décidément, il faut entendre cette virtuose dans le registre chambriste ; elle avoue ce qu’elle fut d’abord et toujours : une musicienne.

LE DISQUE DU JOUR

The Art of Erica Morini

CD 1
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 35
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Royal Philharmonic OrchestraArtur Rodziński, direction

CD 2
Max Bruch (1838-1920)
Concerto pour violon et orchestre No. 1 en sol mineur, Op. 26
Alexandre Glazounov (1865-1936)
Concerto pour violon et orchestre en la mineur, Op. 82
Radio-Symphonie-Orchester BerlinFerenc Fricsay, direction

CD 3
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 4 en ré majeur, K. 218
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour violon et orchestre No. 1 en la mineur, BWV 1041
Princeton Chamber OrchestraNicholas Harsanyi, direction

CD 4
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour violon et orchestre No. 5 en la majeur, K. 219 « Turc »
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour violon et orchestre No. 2 en mi majeur, BWV 102
Musica Aeterna OrchestraFrederic Waldman, direction

CD 5
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Quatuor à cordes No. 4 en ut mineur, Op. 18 No. 4
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Quatuor à cordes [No. 23] en fa majeur, K. 590 « Prussien [3] » (enregistrement monophonique)
Quatuor à cordes en fa majeur, K. 590 (enregistrement stéréophonique)
Felix Galimir, premier violon – Walter Trampler, alto – László Varga, violoncelle

CD 6
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violon et piano No. 2 en la majeur, Op. 100
Sonate pour violon et piano No. 3 en ré mineur, Op. 108
Leon Pommers, piano

CD 7
César Franck (1822-1890)
Sonate pour violon et piano en la majeur, CFF 123, FWV 8
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour violon et piano [No. 33] en mi bémol majeur, K. 481
Rudolf Firkušný, piano

CD 8
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour violon et piano [No. 17] en ut majeur, K. 296
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 3 en mi bémol majeur, Op. 12 No. 3
Rudolf Firkušný, piano

CD 9
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 5 en fa majeur, Op. 24 « Le printemps »
Sonate pour violon et piano No. 7 en ut mineur, Op. 30 No. 2
Rudolf Firkušný, piano

CD 10
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 8 en sol majeur, Op. 30 No. 3
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour violon et piano No. 3 en ré mineur, Op. 108
Rudolf Firkušný, piano

CD 11
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Sonate pour violon et basse continue en ré majeur, RV 10
Giuseppe Tartini (1692-1770)
Sonate pour violon et basse continue en sol mineur, B.g10, Op. 1 No. 10 « Didone abbandonata »
Domenico Gallo (1730-ca.1768)
Sonate en trio No. 4 en sol majeur – Andante
Pietro Nardini (1722-1793)
Sonate pour violon et basse continue en ré majeur (version David)
Leon Pommers, piano

CD 12
Giuseppe Tartini (1692-1770)
Sonate pour violon et basse continue en sol mineur, B.g5, « Le trille du diable »
Sonate pour violon et basse continue en sol mineur, B.g10, Op. 1 No. 10 « Didone abbandonata »
Fritz Kreisler (1875-1962)
Variations sur un thème de Corelli dans le style de Tartini
Leon Pommers, piano

CD 13
Franz Schubert (1797-1828)
Ave Maria (Ellens Gesang III), D. 839 (arr. pour violon et piano : Wilhelmj)
Fritz Kreisler (1875-1962)
Caprice viennois, Op. 2
Schön Rosmarin
Liebesleid
Midnight Bells
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Chant napolitain, Op. 39 No. 18 (arr. pour violon et piano : Burmester)
Chant sans paroles (No. 3, extrait de « Souvenir de Hapsal, Op. 2, TH 125 » – arr. pour violon et piano : Swett)
Christoph Willibald von Gluck (1714-1787)
Ballet des ombres heureuses, extrait d' »Orphée et Eurydice, Wq. 41″ (arr. pour violon et piano : Kreisler)
Charles Gounod (1818-1893)
Faust, CG 4 – Musique de ballet. Valse (arr. pour violon et piano : Sarasate)
Samuel Dushkin (1759-1824)
Sicilienne
Benjamin Godard (1849-1895)
Concerto romantique, Op. 35 (extrait : III. Canzonetta – version pour violon et piano)
Cécile Chaminade (1857-1944)
Sérénade espagnole en mi bémol majeur, Op. 150 (arr. pour violon et piano : Kreisler)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Divertimento [No. 17] en ré majeur, K. 334/320b (extrait : III. Menuetto – Trio – arr. pour violon et piano : Burmester)
Rudolf Firkušný, piano

Erica Morini, violon

Un coffret de 13 CD du label Deutsche Grammophon 4863255
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Photo à la une : la violoniste Erica Morini à Ann Arbor avant un concert au Hill Auditorium, le 12 octobre 1953 – Photo : © The Ann Arbor News