Altitudes

On oublie trop souvent que de son piano, Beethoven ouvrait d’autres horizons sonores : littéralement, la triade finale s’adressait à un instrument venu d’ailleurs, et surtout menant ailleurs. Kempff, Arrau, Lefébure contre la nature même de ses mains, y voyaient l’immense, en entendaient la grandeur absolue, et pour les doigts comme pour l’esprit la transcendance. Nat, Pollini les auront rejoints par des voies différentes, et Schnabel les aura tous précédés.

Mais le son d’abord doit être lui-même immense, et dès le Prestissimo de l’Opus 109, prométhéen, induisant une lutte absolue qui doit créer le vertige. Cette nature-même du son volcanique, Pierre Réach, qui jadis ne faisait qu’une bouchée des Quatre Âges de la vie d’Alkan, la possède : clavier implosif et profondément beethovénien par l’ardeur, la prise de risque, l’élan jusqu’à l’abrasion.

Ce ne serait quasi rien en fait sans la spiritualité qui chante si haut, si dense, dès l’Andante, et se réalisera pleinement dans les voies lactées de l’Arietta deux sonates plus loin, touchant d’une même main l’ultime et l’intime. Entre cet alpha et cet oméga de l’ultima verba beethovénienne se sera dressé le sommet de l’Opus 110, et sa Fugue, dont vous sortirez rincés, doigts voraces, œil d’aigle, chaque ligne, chaque crête paraît, prodigieux d’abord par cette vertu absolument beethovénienne, l’exaltation. Coup de génie, comme le révélait Rudolf Serkin en concert, il n’y a plus trois sonates, mais un seul monde.

Les trois volets de l’Opus 31 ne sont pas mis en regard de la triade finale vainement. Face à l’unité, à la réitération, face à un chemin trois fois gravi pour être enfin parvenu au-delà, Pierre Réach oppose le Sturm und Drang des ces opus qui sont comme le laboratoire d’un démiurge révélé.

Sommet une Tempête magistrale par les emportements, les accents, le sentiment même d’être entré dans un paysage, et toujours cette puissance qui voudrait épuiser tout ce qui dans le meuble dissimule un orchestre, et c’est justice : Pierre Réach sait bien que ces Sonates sont des symphonies. Il nous doit les vingt-six autres.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 16 en ut majeur, Op. 31 No. 1
Sonate pour piano No. 17 en ré mineur, Op. 31 No. 2 « La Tempête »
Sonate pour piano No. 18 en mi bémol majeur, Op. 31 No. 3
Sonate pour piano No. 30 en mi majeur, Op. 109
Sonate pour piano No. 31 en la bémol majeur, Op. 110
Sonate pour piano No. 32 en ut mineur, Op. 111

Pierre Réach, piano

Un album de 2 CD du label Anima Records ANM2112011
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Photo à la une : le pianiste Pierre Réach – Photo : © Tri-C