Le disciple

Eduard Steuermann fut un pianiste prodigieux, qui jouait tout le grand répertoire, de Bach à Brahms (dont il édita les œuvres de piano) en passant par Schubert, révélant les Sonates dès les années vingt, soit avant tout le monde. Mais compositeur lui-même, et moderniste absolument converti à l’atonalité (sinon au sérialisme), il se fit l’avocat des œuvres de la Seconde Ecole de Vienne, avec une exception : Webern lui dédia ses Variations pour piano qu’il ne joua jamais ; le mystère de cette désaffection continue d’intriguer.

Son apostolat fut pour tout ce que Schönberg composa pour le piano, Concerto, musique de chambre, Pierrot lunaire et évidemment les six opus de piano solo qu’il enregistra pour la Columbia américaine en janvier 1957, alors qu’il était devenu un professeur recherché à la Juilliard School de New York.

Le repiquage de ce disque historique proposé par Tacet part du tirage original de l’album Columbia, capturant le son boisé du beau Steinway qui tire sans cesse les abstractions nocturnes des six opus vers des souvenirs brahmsiens. Claudio Arrau, abordant l’Opus 11, dira assez l’admiration qu’il éprouvait pour la façon dont Steuermann le jouait.

Tout le disque est majeur pour la connaissance de l’œuvre de piano de Schönberg en ce qu’il la sauve des desséchements du modernisme, mais également pour prendre la mesure d’un des grands pianiste du XXe siècle dont l’art reste si peu documenté.

Dommage d’ailleurs de ne pas avoir ajouté son album Busoni enregistré en 1960 pour Contemporary Records, il aurait tenu en sus sur ces deux CDs dont le second est consacré à Steuermann compositeur enregistré par ses élèves. Thomas Hell se colle à l’impressionnante Suite composée entre 1949 et 1951, trouvant le ton si différent de chacune des cinq pièces, alors que Erika Haase et ses collègues ressuscitent les merveilleux arrangements à plusieurs claviers que Steuermann ouvrageait pour les jouer avec ses élèves : son « pot-pourri » de la Fledermaus rappelle que l’ancien monde ne l’avait jamais quitté et surtout pas cette Vienne des années vingt passées aux côté de Schönberg, Berg et Webern.

Beau double album, avec des témoignages de Michael Gielen (cherchez son enregistrement des Variations pour orchestre) et des élèves pianistes de Steuermann.

LE DISQUE DU JOUR

Hommage à
Eduard Steuermann

Arnold Schoenberg
(1874-1951)
3 Klavierstücke, Op. 11
6 kleine Klavierstücke, Op. 19
5 Klavierstücke, Op. 23
2 Klavierstücke, Op. 33a,b
Suite pour piano, Op. 25

Eduard Steuermann, piano

Eduard Steuermann (1892-1964)
Suite pour piano
Paraphrase sur des thèmes de « Fledermaus », pour 2 pianos*
Thomas Hell, piano
*Erika HaaseCarmen Piazzini

Johann Strauss fils (1825-1899)
Perpetuum mobile, Op. 257 (arr. pour 2 pianos : E. steuermann)
Erika HaaseCarmen Piazzini

Francis Poulenc (1899-1963)
Toccata (arr. pour 3 pianos : E. Steuermann)
Franz Schubert (1797-1828)
Wohin?, extrait de « Die schöne Müllerin, D. 795 » (arr. pour 3 pianos : Steuermann)
Erika HaaseCarmen PiazziniUlrike Moortgat-Pick, pianos

Un album de 2 CD du label Tacet 0186-0
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Photo à la une : Portrait d’Arnold Schönberg, avec Eduard Steuermann et un autre homme non identifié – Photo : © The New York Public Library