Böhm Révolution

Le microsillon ouvrait de nouveaux horizons à Karl Böhm, Decca lui dépêchait à Vienne ses ingénieurs, qu’il partageait avec Erich Kleiber, Clemens Krauss et Josef Krips. Sujet de son premier long play, Mozart, un trio de symphonies avec les Wiener Philharmoniker, emportées en lumière, qui rappelait qu’avec Krips il avait fondé à l’Opéra un fameux ensemble Mozart revisitant la trilogie Da Ponte et la rendant à l’italien.

Damned !, Krips lui prendra Don Giovanni, et Kleiber Le nozze di Figaro, alors qu’il les dirigeait et allait avec toute la troupe les faire voyager jusqu’à Londres. Mais on lui laissait Così fan tutte, qui, nonobstant Krips, était son pré-carré et le resterait, n’ayant pour seul rival au disque que Karajan et fugitivement au théâtre, un merveilleux Guido Cantelli.

Quel bonheur ce Così fan tutte, je le prends voluptueusement et le retrouve dans un son ravivé que je crois bien repris des microsillons : le grain de Dermota s’y entend mieux. Peu importe les coupures usuelles de Vienne, la vie même déborde ici, et Böhm retient ses tempos pour que chaque personnage puisse faire entendre les complexités de sa psyché. Théâtre oui, mais des sentiments, secret de tout Così fan tutte posé là une fois pour toutes et qu’avant Böhm, seul Fritz Busch avait su dévoiler.

L’équipe est fabuleuse, Della Casa un peu exotique surtout si l’on pense que Jurinac faisait sa Fiordiligi pour Busch à Glyndebourne, les hommes parfaits (Kunz prodigieux de style, d’autorité, Schöffler plus amusé que dangereux) et Loose délicieusement impertinente, et quelle voix ! Dermota reste idéal même si son Aura amorosa le montre un brin fatigué, mais c’est la jeune Ludwig qui stupéfie, fabuleuse Dorabella !

La Zauberflöte suivra en ce même mai 1955, avec une prodigieuse Pamina d’Hilde Güden, mettant sa voix dans le sillage de Seefried, et le Tamino de Simoneau qui stylait un nouveau visage pour son prince, le sauvant des grands ténors sombres de timbre qui en pays germains, l’avaient madré de timbre (Ludwig, Roswaenge, tant d’autres avant eux). La fidèle Loose faisait sa Reine de la Nuit sans paillettes, magnifique par l’inquiétude qui perce sous sa fureur. Equipe superlative emportée par le Papageno du jeune Walter Berry et où parait le Zarastro anthologique de Kurt Böhme ; citer les trois Dames (Hellwig, Ludwig, Rössel-Majdan) suffit pour qualifier le relevé d’une équipe qui avait dans ses gestes et ses voix la vie même du singspiel à la scène.

Le chef d’orchestre Karl Böhm (1894-1981), avec à droite, son fils l’acteur Karlheinz Böhm (1928-2014) – Photo : © Private collection

Doublé célèbre, mais éclipsé par des gravures ultérieures, injustement. Mais l’éclipse majeure aura concerné Le nozze di Figaro enregistré l’année suivante, avec un Karl Böhm délicieusement poète et inventif, comme il le sera toujours avec les Wiener Symphoniker (ses Saisons de Haydn !) : distribution en or, Sena Jurinac en Contessa, Rita Streich pour Susanna avec son Figaro Walter Berry, Ludwig en Cherubino, qui se souvient de celui de Jurinac et fait palpiter son aigu, Schöffler qui sera avant les colères de Fischer-Dieskau ce qu’est primordialement le Comte : le dindon de la farce. Sur tout ce théâtre, Karl Böhm fait un théâtre supplémentaire, et règle les ensembles des finales en les tenant et les enivrant à la fois, sachant que c’est ici que Mozart fait sa révolution. Génial !

Ce sera la révélation d’un ensemble où tout est mieux connu, y compris la première intégrale d’une Frau ohne Schatten arrachée par toute l’équipe au team de Decca qui faisait la fine bouche, ensemble qui pousse jusqu’à La Tétralogie de Bayreuth 1966/1967 dont les « sublimités » sont enfin révélées à leur plein par les standards du Blu-Ray.

Tout ici est essentiel, des Vier Letzte Lieder avec Lisa Della Casa à la Romantique de Bruckner, mais encore une perle oubliée : écoutez les trois dernières Symphonies de Mozart avec le Concertgebouw d’Amsterdam en 1955 : ce feu, cette ardeur âpre, personne ne les a retrouvés.

Edition soignée, texte éclairant de Rémy Louis qui vous guidera dans l’histoire de ce legs et les arcanes de l’art de Karl Böhm.

LE DISQUE DU JOUR

Karl Böhm
The Complete Decca and Philips Recordings

Œuvres de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Johannes Brahms (1833-1897), Carl Maria von Weber (1787-1827), Anton Bruckner (1824-1896), Richard Strauss (1864-1949), Johann Strauss fils (1825-1899) et Richard Wagner (1813-1883)

Wiener Staatsopernchor
Wiener Philharmoniker
Wiener Symphoniker
Royal Concertgebouw Orchestra
Orchester der Bayreuther Festspiele

Karl Böhm, direction

Un coffret de 38 CD et 1 Blu-Ray Disc du label Decca 4851588
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Photo à la une : le chef d’orchestre Karl Böhm – Photo : © DR