Lassus, côté sacré

Daniel Reuss a de la suite dans les idées : à chacun des chœurs dont il aura pris en main les destinés artistiques, la musique spirituelle de Roland de Lassus se sera imposée pour un disque, en en renouvelant l’approche.

Voici cinq ans, il gravait le cycle des Prophéties de la Sybille composée pour le Duc de Bavière, cahier phare de ses premières années munichoises, un quasi petit oratorio autour du thème de la Nativité. Daniel Reuss éclairait ce cycle merveilleux, vraie perle de la Renaissance vocale, d’un italianisme certain, le tirant vers le madrigal. Il savait que Lassus s’y souvenait de son si fécond séjour romain, et y évoquait dans ces sons dorés, dans ces polyphonies débordées de couleurs, les fresques de la Chapelle Sixtine. Son VocalConsort Berlin lui offrait une palette expressive dont il usait avec plus que de la volupté, celle-ci gagnant même les motets plus tardifs, où la maturité du compositeur s’exprime dans une magnificence souvent enivrante.

Cinq ans plus tard, dans le grand déploiement de son ensemble néerlandais, il fait paraître un tout autre visage de ce musicien fascinant. Sous le titre suggestif d’« Inferno » s’assemblent treize motets aux polyphonies parfois expressionnistes, la plupart datant de la fin de la vie du compositeur, musique d’une nostalgie sombre, fruit d’une vieillesse recluse dans une dépression croissante qui pourtant n’éloignera pas Lassus du papier à musique. Daniel Reuss et son grand chœur font saillir ces partitions surprenantes. L’album se refermant sur le motet Vide homo, qui forme l’épilogue des Lagrime di S. Pietro, laisse espérer que demain, ils enregistreront tout ce cycle, ultime chef-d’œuvre du compositeur.

C’est dans un recueil manifeste de la Renaissance musicale que Leonardo García Alarcón et ses ensembles de Flandres nous immergent en proposant une lecture flamboyante du Canticum canticorum. Lassus ne le conçut d’ailleurs pas comme un cycle, espaçant ses compositions sur le Cantique des Cantiques entre plusieurs parutions, en dispersant les mises en musique de versets savamment choisis.

Mais Alarcón a bien raison de les regrouper et c’est comme un voyage au cœur de l’œuvre de Lassus, des chœurs alternés à la mode vénitienne opposant les registres graves et aigus aux constructions polyphoniques les plus raffinées.

Au pouvoir suggestif des voix il ajoute les écrins sonores des instruments, cornet, luth, violons. Cette jolie bande flamande aurait pu passer du côté profane – après tout le Cantique des Cantiques est à cheval entre le spirituel et le sensuel, mais non, le disque se prolonge en un roide Magnificat avant les déploiements hypnotiques d’une Messe que Lassus compose sur une de ses chansons les plus célèbres. Et si demain Leonardo García Alarcón nous enregistrait avec ses ensembles la grande anthologie moderne des chansons d’Orlando di Lasso que l’on attend depuis si longtemps…

LE DISQUE DU JOUR

Orlando di Lasso
(1532- 1594)
Prophetiae Sibyllarum
Dixit Dominus à 8 (extrait de « Selectiorum aliquot cantionum sacrarum »)
Angelus ad pastores ait ; Videntes stellam (2 extraits des « Sacrae cantiones, 1562 »)
Quem vidistis pastores (extrait des « Cantiones aliquot »)
Ave Maria gratia plena (extrait des « Magnum opus musicum »)
Magnificat super « Aurora lucis rutilat » (extrait des « Magnificat super aurora lucis rutilat »)

VocalConsort Berlin
Daniel Reuss, direction
Un album du label Accent ACC24307
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Inferno
Motets à 6 et 8 voix

Orlando di Lasso
Omnia tempus habent (extrait de « Cantica sacra sex et octo vocibus »)
Audi tellus (extraits de « Sacræ cantiones, Livre 4 »)
Cantiones sacræ sex vocum
(4 extraits : Ad Dominum cum tribularer ; Recordare Jesu pie ; Deficiat in dolore vita mea ; Vidi calumnias)

Media vita in morte sumus (extrait de « Patrocinium musices, Partie 1 »)
Circumdederunt me dolores mortis (extrait des « Cantiones sacræ sex vocibus compositæ, Munich, 1601 »)
Libera me, Domine (extrait des « Selectissimæ cantiones »)
O mors quam amara (extrait du « Primus Liber concentuum sacrorum »)
Cum essem parvulus (extrait des « Mottetta sex vocum »)
Vide homo (extrait des « Lagrime di San Pietro »)
Media vita in morte sumus (Antienne grégorienne)

Cappella Amsterdam
Daniel Reuss, direction
Un album du label harmonia mundi HMM902650
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Orlando di Lasso
Canticum canticorum
Magnificat super Ancor che col partire di Cipriano, à 5
Missa super Susanne un jour,
à 5

Chœur de chambre de Namur
Clematis
Leonardo García Alarcón, direction
Un album du label Ricercar RIC370
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Photo à la une : le chef de chœur Daniel Reuss – Photo : © DR