Violoncelle du désert

Qui ose ouvrir tout un disque sur le violoncelle voix de la judaïté par la Sonate radicale que Mieczyslaw Weinberg composa en 1960, première d’une série de quatre ? Virginie Constant, qui place en exergue de son disque cet opus enténébré, si exigeant pour son instrument qu’il met à nu. Un album courageux, parfaitement composé, exigeant et magistralement réalisé.

La Sonate de Weinberg est un chef-d’œuvre, c’est entendu, mais très peu courue au disque : je ne la connaissais que sous l’archet de Michal Kanka (Praga), Voix dans le désert d’Ernest Bloch tout autant, partition de prophète au même titre que son alter-ego, Schelomo, autrement fêté par les violoncellistes.

Pour Voix dans le désert, toujours enregistré dans sa mouture orchestrée, Zara Nelsova puis Janos Starker sont demeurés inoubliables ; Virginie Constant grave, je crois bien en première mondiale, la version avec piano solo : les grands interludes que Bloch destine au seul clavier, y résumant tout son orchestre constitueront l’un de ses opus pianistique majeurs, Visions et prophéties. Tout ce qui élargissait le cadre par l’orchestre se résume ici à une parole plus puissante, une musique autrement essentielle que le violoncelle doit porter seul, il faut pouvoir y mettre un sens des atmosphères, une concentration du jeu et un art du verbe que la violoncelliste française possède à plein.

L’album est rendu plus précieux encore par des pièces brèves rarissimes, comme le Conte hébraïque de Lazare Saminsky, Matana de Serge Kaufmann ou la terrible Berceuse de Gideon Klein qui referme dans une note tragique ce disque parfait où s’illustre le grand piano de Simon Zaoui.

Quelques jours plus tard, une très belle sonorité de violoncelle m’envoûte à l’écoute d’une intégrale des Trios de Schubert. Qui joue ainsi, si profondément dans les cordes et pourtant en modelant si subtilement le chant ? Virginie Constant !

Après Beethoven, Reber, quelques Russes, le Trio Elégiaque, composé aujourd’hui de François Dumont, Philippe Aïche et Virginie Constant, nous propose aujourd’hui son Schubert, si allant et pourtant si détaillé, sans pathos, joué comme du Mozart, comme du Mozart touchant au cœur. Dans cette nouvelle intégrale de tout ce que le compositeur du Roi des aulnes aura écrit pour cette formation, le Notturno, qui nomme l’album, n’aura jamais été si bien joué, grand lied de ténèbres d’une poésie envoûtante. Et si demain Virginie Constant et François Dumont nous faisaient l’Arpeggione, les Sonates de Brahms, les Cahiers de contes de Schumann ?

LE DISQUE DU JOUR

Le Sablier du temps
Un voyage musical à travers l’âme juive

Mieczyslaw Weinberg (1919-1996)
Sonate pour violoncelle No. 1, Op. 72
Ernest Bloch (1880-1959)
Voix dans le désert
Lazare Saminsky (1882-1959)
Conte hébraïque pour piano, Op. 17 No. 1
Serge Kaufmann (né en 1930)
Matana pour violoncelle solo
Duo pour violoncelles No. 7
Duo pour violoncelles No. 10
Joseph Achron (1886-1943)
Mélodie hébraïque pour violoncelle et piano
Mark Warshawsky (1848-1907)
Oyfn Pripetchik (arr. pour violoncelle et piano)
Gideon Klein (1919-1945)
Lullaby (arr. pour violoncelle et piano)

Virginie Constant, violoncelle
Simon Zaoui, piano
Katarzyna Alemany, violoncelle

Un album du label Institut Européen des Musiques Juives IEMJ CDC-002
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Franz Schubert (1797-1828)
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 1 en si bémol majeur, Op. 99, D. 898
Notturno pour violon, violoncelle et piano, Op. 148, D. 897
Sonatensatz pour violon, violoncelle et piano, D. 28
Trio pour violon, violoncelle et piano No. 2 en mi bémol majeur, Op. 100, D. 929

Trio Élégiaque

Un album du label Academy Productions AP1752
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