Le jeune homme et le siècle

À Cleveland, Riccardo Chailly, pris alors dans un cycle Stravinski, enregistra une lecture acérée du Sacre du printemps, qui surprit en bien. Les années ont passé, voici son nouveau Sacre, félin, vif, allégé, joué classique et quasiment au cordeau, jamais pris pour un ballet et encore moins comme un manifeste.

Un ovni alors ? Oui, car après tout chez Stravinski, rien n’annonça Le Sacre du printemps et rien n’en découla non plus. Chailly le voit, l’entend, le donne à entendre comme une œuvre expérimentale dont les audaces paraissent d’autant plus compréhensibles qu’elles sont ici jouées par des virtuoses qui leur ôtent toute aspérité.

Ce Sacre du printemps vient clore le disque après quatre opus qui sont tout aussi expérimentaux, œuvre d’un jeune homme qui se cherche et s’étonne de réussir dans des registres aussi diamétralement opposés que ceux du Chant funèbre révélé ici en première mondiale (et qui pourrait être du Magnard), ou les portées cubistes de Feu d’artifice.

Le Scherzo fantastique est probablement la pièce maîtresse de l’album tel qu’il est conçu, le Kastcheï de L’Oiseau de feu y raille, les musiciens légers comme des plumes griffent cette partition d’oiseaux et de chats qui stylise l’orchestre de Rimski-Korsakov avec un génie du plagiat absolu.

Quant aux trois mélodies de l’Op. 2, c’est à la fois Tchaikovski et les Français qui y paraissent, précipité de styles antinomiques qui pourtant s’accordent.

Disque fascinant, qu’on ne doit pas comparer aux anciens Stravinski de Chailly au risque de ne pas le comprendre, mais auquel il manque l’autre opus absolument inclassable du jeune Stravinski, ce Roi des étoiles (le minutage l’aurait tout juste autorisé), où il entendait poursuivre l’œuvre de Scriabine. Finalement, il préfèrera Schoenberg, hélas.

LE DISQUE DU JOUR

Igor Stravinski (1882-1971)
Chant funèbre, Op. 5
Feu d’artifice, Op. 4
Scherzo fantastique, Op. 3
Le faune et la bergère, Op. 2
Le sacre du printemps

Sophie Koch, mezzo-soprano
Orchestre du Festival de Lucerne
Riccardo Chailly, direction

Un album du label Decca 4832562
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Photo à la une : © DR