La glace et le feu

Fortune considérable pour le Concerto de Benjamin Britten, longtemps boudé par les violonistes, plébiscité depuis quelques années par les meilleurs archets de la nouvelle génération. Arabella Steinbacher y venant aujourd’hui ajoute soudain son jeu hautain, avec quelque chose de glacé dans les phrasés, d’amer dans les accents, qui change le visage de l’œuvre.

Frank Peter Zimmermann avait déjà tenté de tirer ce concerto enfant de la Guerre d’Espagne vers le tragique, mais il y mettait un feu, une folie, un goût du danger dont s’abstient la belle Arabella. Elle reste en dehors de la mêlée, d’autant plus que Valdimir Jurowski lui fait un orchestre tonnant, brûlant, une mitraille de sons d’une intensité assez incroyable devant laquelle elle reste impassible.

Si ce n’était pas de la maîtrise de soi, ce serait de l’indifférence. Mais non, car le grand récitatif qui clôt la Passacaille (et le Concerto lui-même) la montre abrasant ses cordes, échappant de sa belle sonorité naturellement polaire. Il faut dire qu’enfin la prise de son ne l’amincit pas, la mariant de plein timbre avec un orchestre somptueusement capté quitte à faire entendre ses cordes à la trame.

Pour le Britten c’est bien, en attendant que Julia Fischer s’y mesure un jour, mais c’est infiniment mieux encore pour le toujours trop peu couru Concerto que Paul Hindemith écrivit en 1939 à l’intention de Georg Kulenkampff qui, politique oblige, s’abstint de la créer.

Frank Peter Zimermann a en signé avec Paavo Järvi une version que je pensais définitive, mais Arabella Steinbacher y apporte un ton plus lyrique que contrarie pourtant la direction roide de Vladimir Jurowski. On voit littéralement sa baguette impérieuse conduire les tsunamis d’orchestre dont Hindemith parsème sa partition : après tout, le Concerto d’Hindemith comme celui de Britten, est une œuvre de guerre, mais d’une autre guerre, les Russes le récupèrent comme symbole de l’anti-nazisme, David Oistrakh la championant (et l’enregistrant) des deux côtés du Rideau de fer.

Arabella Steinbacher sait comme personne faire chanter le medium de son violon, elle réussit à aller très loin dans le grand épisode lyrique de la fin du premier mouvement, son Langsam est d’une beauté quasi abstraite qui semble annoncer le Hindemith de la période américaine. La prise de son fastueuse de cet album, déjà constatée pour le Totenfeier du jeune chef russe, augure bien de ses futurs disques avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin. Décidément, les ingénieurs de Pentatone sont des magiciens.

LE DISQUE DU JOUR

Benjamin Britten (1913-1976)
Concerto pour violon
et orchestre, Op. 15

Paul Hindemith (1895-1963)
Concerto pour violon
et orchestre (1939)

Arabella Steinbacher, violon
Rundunk-Sinfonieorchester Berlin
Vladimir Jurowski, direction

Un album du label Pentatone PTC5186625
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Photo à la une : © Peter Rigaud (from Arabella Steinbacher’s website)