Le génie de Londres

La méconnaissance dans laquelle les œuvres de William Sterndale Bennett sont tenues hors d’Angleterre m’a toujours été insupportable. Je me souviens encore de mon émerveillement en découvrant lors d’un séjour londonien la Romance pastorale de son Concerto en fa mineur sous les doigts de Malcolm Binns. Vite, je retournais chez Harold Moore et achetait les quelques microsillons, d’autres Concertos, une Symphonie, c’était bien peu.

Puis Ilona Prunyi s’engagea dans une anthologie de son œuvre pour piano solo, trois volumes mal enregistrés, et joués plat, pionnière malheureuse qui détourna malgré elle l’intérêt que ces pages subtilement émouvantes auraient dût susciter. Dans le cadre de son anthologie de l’École de piano de Londres, Ian Hobson, toujours fin musicien, révélait la grande Sonate narrative inspirée par Jeanne d’Arc (son Opus 46), tout un univers à la Walter Scott y résonnait. Puis vraiment plus grand chose, jusqu’à ce que Hiroaki Takenouchi, une fois établi à Londres, ne se prenne d’amitié pour cette musique. C’est à lui, quasiment à lui seul – Howard Shelley ayant gravé le 4e Concerto pour la série romantique d’Hypérion, que Sterndale Bennett doit de reparaître enfin au programme des concerts en Angleterre.

Le fils spirituel de Mendelssohn ne pouvait trouver d’avocat mieux inspiré pour plaider sa cause. Il faut être un poète pour comprendre la lyrique effusive et pourtant discrète de ces pages admirables où se résume et se sublime tout le premier romantisme pianistique. L’écriture en est savante, l’harmonie très subtile ne se fait entendre que lorsque son interprète la joue à dix doigts et non à deux mains. L’émotion affleure derrière les cantilènes et les encorbellements, il faut savoir la faire briller dans ce discours complexe où le temps s’abolit : Sterndale Bennett est le maître des phrases longues, quasi infinies, qui développent leurs volutes végétales sans jamais pouvoir finir. Écoutez seulement le Finale de la Sonate Op. 13 que le jeune homme dédie à Mendelssohn qui vient de l’accueillir à Leipzig. Cet Agitato contenu qui s’enivre d’une mélodie comme tombée du ciel est une merveille, surtout jouée comme cela, avec cette persistance discrète, cette sonorité si imaginative.

Au lieu de renvoyer le jeune Anglais au miroir de son mentor Mendelssohn, Hiroaki Takenouchi reflète la Sonate en fa mineur dans la version princeps des Études symphoniques que Robert Schumann dédia à celui dont il reconnut immédiatement le génie. Piano ample et profus, mais clair pourtant jusque dans les pages les plus assombries, avec cette contenance, cette noblesse native qui sont la signature d’un musicien admirable, trop discret.

La juxtaposition des deux ouvrages confirme bien l’entière singularité de la Sonate de Sterndale Bennett : il faut qu’Hiroaki Takenouchi poursuive son exploration du Mendelssohn anglais, ce sera justice et œuvre plus qu’utile d’autant que le piano joué ici est merveilleux, capté dans toute dans sa splendeur par Frédéric Briant, dont les micros se sont accordés à l’acoustique de l’Église St. John-the-Evangelist d’Oxford.

LE DISQUE DU JOUR

William Sterndale Bennett (1816-1875)
Sonate pour piano en fa mineur, Op. 13
Robert Schumann (1810-1856)
Études en forme de variations, Op. 13, « Études symphoniques » (Première version, 1834)

Hiroaki Takenouchi, piano

Un album du label Artalinna ATL-018
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Photo à la une : © Jean-Baptiste Millot