Le temps d’Enesco

Au dix-septième Concours Chopin, Charles Richard-Hamelin se fit voler le Premier Prix par Seong-Jin Cho. Pourtant, le public le lui aurait donné sans barguigner. Cette étoffe de clavier, ce ton héroïque, cette main gauche affirmée l’auraient mérité. Mais non, second, ce qui n’enlève en fait rien à son challenger coréen dont les qualités furent autres.

Mais Richard-Hamelin obtint pour la parfaite conduction de son interprétation de la Troisième Sonate le Prix Krystian Zimerman, signe distinctif qui accusait en creux les défauts de jeunesse de son challenger.

Revenu de sa (probable) déception, le voilà en mai 2016 dans la belle acoustique de la Salle Raoul Jobin du Palais Montcalm pour un récital. Chopin y figure en coda (et signe révélateur, Beethoven avec deux opus rarement considérés par les pianistes, ses Rondos, en ouverture) : la Troisième Ballade, tenue, lisible, le grand Nocturne Op. 55 n°2 fait en une seule ligne disent assez de son art narratif, puis paraît le style romantique avec l’Introduction et Rondo Op. 16, et enfin l’exaltation pour une Polonaise « Héroïque » où le rythme, implacable, change le paysage.

Pourtant, des couleurs manquent à son Chopin, un rien trop unilatéral. C’est qu’il les aura épuisées au centre du concert où les jetant à plein baquets pour la Seconde Suite de piano d’Enesco ! En 1903, le jury qui l’entendit crée par l’auteur lors d’un concours de composition la sacra. Debussy était des juges qui donnèrent leurs suffrages à la tignasse du Roumain. Travaillant alors sur La Mer, il aura entendu dans la Toccata qui ouvre la Suite ce paysage immense de flots qui rugissent et s’ébrouent dans un soleil absolu.

Charles Richard-Hamelin replace cet opus dans le paysage de la création d’alors, faisant entrer dans ses lignes spectaculaires ou tendre – les cantabiles exaltés de la Sarabande portés enfin ici jusqu’à leur acmé, le babil des trilles et des ornements de la Pavane, les cloches à la volée des accords de la Bourrée, partout l’attention aux nuances – soulignant les formes « Grand Siècle » que les titres des quatre pièces désignent explicitement mais surtout y mettant entre les portées l’air libre, frémissant, les couleurs opulentes, la sensualité d’un faune, le secret panthéiste qui réinventa la France en musique à l’orée du XXe siècle avant que 14-18 ne l’arase. De tout cela, Ravel en son Tombeau de Couperin se souviendra. C’est plus que d’un pianiste, et signe que oui, le temps d’Enesco est venu.

LE DISQUE DU JOUR

cover-richard-hamelin-recital-live-analektaLudwig van Beethoven (1770-1827)
2 Rondos, Op. 51
Georges Enesco (1881-1955)
Suite pour piano No. 2
en ré majeur, Op. 10

Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballade pour piano No. 3
en la bémol majeur, Op. 47

Nocturne en mi bémol majeur, Op. 55 No. 2
Introduction et Rondo en mi bémol majeur, Op. 16
Polonaise No. 6 en la bémol majeur, Op. 53 « Héroïque »

Charles Richard-Hamelin, piano

Un album du label Analekta 2191292
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Photo à la une : © Elizabeth Delage