Le printemps du poète

De l’aveu même de Frank Braley, qui signe ici un déconcertant texte de souvenirs où affleure son sens de l’humour décalé, sa victoire au Concours Reine Elisabeth 1991 lui donna l’assurance qui lui manquait encore. Sa silhouette frêle, sa gueule d’ange durent rafraîchir un jury assailli depuis trop longtemps par des virtuoses autrement musclés. Justement cette année là, les broyeurs d’ivoire russes ou américains cédèrent le pas devant ce jeune homme arrivé là sans espoir de l’emporter. Sa victoire n’en fut que plus douce, son triomphe plus musical.

Car Frank Braley, resté égal à lui-même malgré les années, dont la discographie récente montre avant tout le chambriste – Harmonia Mundi qui a ses beaux albums de soliste les laisse dormir, honte ! – l’emporta par la poésie, une poésie sans grandiloquence, un lyrisme tenu, ombrageux, où les couleurs se composent dans un dolce saisissant : écoutez seulement le Sonnetto del Petrarca (123) qui ouvre ce disque-madeleine : la pesée impondérable du chant, la ligne ponctuée de couleurs subtilement nuancées, c’est du grand art et pas du plus voyant, celui d’un musicien pour les musiciens.

D’ailleurs, le jeune homme avait annoncé la couleur : pour l’épreuve finale, il choisissait le 4e Concerto de Beethoven, cet opus sphinx avec sa question obsessionnelle qui hante l’Andante con moto et se résout dans une simple modulation, la grâce même. Les virtuoses au Reine Elisabeth vous giflent avec le 2e de Prokofiev ou vous esbroufent avec le 3e de Rachmaninov. Pas lui.

Creusant sa sonorité naturellement mozartienne – la Sonate K. 332 me fait pleurer qu’on n’ait pas tous les Concertos sous ses doigts – l’ombrant d’un sfumato troublant, emmenant le Finale dans un tempo tranquille où sa sonorité brille d’une nacre profonde, il fera se dresser le jury, Rudolf Firkušný applaudissant de joie. Il avait reconnu un alter ego dont la carrière trop discrète est celle d’un musicien, mieux, d’un artiste.

S’en souvenir en l’entendant dans ces jours où pour ainsi dire il se révélait à lui-même, cause un plaisir extrême, comme des retrouvailles. Notons en conclusion l’excellent texte de présentation de Michel Stockhem.

LE DISQUE DU JOUR

frank_braley-queen_elisabeth_competition_-_piano_1991
Frank Braley
Queen Elisabeth
Competition Piano 1991

Franz Liszt (1811-1886)
Sonetto 123 del Petrarca,
S. 161/6

Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Variations sur un thème
de Corelli, Op. 42

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour piano No. 12 en fa majeur, K. 332/300k
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol majeur, Op. 58

Frank Braley, piano
Orchestre National de Belgique
Ronald Zollman, direction

Un album du label Muso MU-014
Acheter l’album sur Amazon.fr

Photo à la une : © DR