Röschmann et le Lied

Je sortais tout juste des Poèmes de Marie Stuart selon Régine Crespin et voici que je glissais ceux du récital que Dorothea Röschmann et Malcolm Martineau viennent de faire paraître chez Sony Classical. Programme centré sur deux figures féminines, la Reine d’Écosse et la Mignon de Goethe qui inspira et Schubert et Wolf.

J’espérais depuis longtemps un vrai récital de cette soprano habituée à partager jusque-là des disques de lieder en duo. Tout la destinait à cet exercice périlleux que les chanteurs lyriques abordent souvent avec réticence, pour y mieux sombrer.

Le ton hautain, la diction impérieuse, la pleine voix timbrée, corsée, étonnent dans les sept Schubert : ce texte incarné, cette fièvre dans Gretchen am Spinnrade, je ne les avais plus retrouvés au disque depuis Margaret Price ou Brigitte Fassbaender. Tant de présence pourra heurter ceux qui n’ont pas connu l’art des liedersängerin du siècle passé – seule Bernarda Fink leur fit jusque-là écho – mais la vérité de Schubert est là, à nue. Impossible de lui résister.

Pour Dorothea Röschmann, certes, il faut chanter, mais confrontée à la nudité volontaire du piano de Malcolm Martineau, il faut d’abord dire. Les Marie Stuart où Schumann a composé avec tant d’art le chant et le récit sont, pour cette tragédienne née, l’évidence même, et rejoignent justement ceux de Crespin, aussi émouvants, aussi urgents, aussi désespérés.

Quatre Richard Strauss alternent mystères et humeurs. Je ne l’attendais pas dans Schlechtes Wetter – j’ai toujours dans l’oreille la fantaisie charmante qu’y composaient Hilde Güden et Friedrich Gulda. Röschmann s’y régale, féline, en mode plus ironique que seulement souriant, et me rappelle qu’elle a gravé voici peu une très singulière version des Quatre dernier Lieder avec Yannick Nézet-Séguin (BIS), dont Befreit, si ample, si intense et si libre, s’approche absolument.

Mais le vrai miracle de ce disque, manifeste qui renoue avec la grande histoire du lied, reste l’ensemble consacré à la Mignon de Goethe par Wolf. Ici, un seul modèle absolu, Elisabeth Schwarzkopf. La longueur de la voix de Röschmann, l’alternance de langueur érotique et d’égarement hystérique qu’elle met ici trouvent l’exact esprit de Wolf.

Disque majeur qui aura – on l’espère – une suite. Cette voix doit nous donner la nouvelle grande version des Brentano de Richard Strauss – que l’on espère depuis le disque anthologique d’Edda Moser.

LE DISQUE DU JOUR

cover röschmann portraits recital sonyFranz Schubert (1797-1828)
Lieder: 4 Gesänge aus « Wilhelm Meister », D.877 (Nos. 2-4) ;
Kennst du das Land, D. 321 ;
Der König in Thule, D. 367 ;
Gretchen am Spinnrade, D. 118 ;
Gretchens Bitte, D. 564

Robert Schumann (1810-1856)
Gedichte der Königin Maria Stuart, Op. 135
Richard Strauss (1864-1949)
Lieder : Die Nacht, Op. 10 No. 3 ; Morgen, Op. 27 No. 4 ;
Schlechtes Wetter, Op. 69 No. 5 ; Befreit, Op. 39 No. 4

Hugo Wolf (1860-1903)
Goethe-Lieder (extraits) : Mignon I (Heiß mich nicht reden, No.5 du recueil) ;
Mignon II (Nur wer die Sehnsucht, No.6) ; Mignon III (So lasst mich scheinen, No.7) ;
Kennst du das Land? (No.9)

Dorothea Röschmann, soprano
Malcolm Martineau, piano

Un album du label Sony Classical 883785852

Photo à la une : (c) DR