Tropisme Russe

Johannes Moser, dont quelques disques ont déjà célébré la lyrique discrète, serait-il parvenu à libérer son art ? Porté par le Steinway orchestre d’Andrei Korobeinikov qui réalise ici la plus éloquente partie de piano de la Sonate de Rachmaninov jamais enregistrée depuis celle qu’Elisabeth Leonskaja offrait à Heinrich Schiff, son archet se déploie enfin, chantant sans retenue, avec quelque chose de déchirant même dans les batteries du Scherzando.

Qu’on ne cherche pas ici l’appui ni même l’ampleur des versions des grands archets soviétiques, celui si particulier de Johannes Moser reste toujours dans cette élégante sveltesse qui lui permet de modeler chaque inflexion : sa touche si subtile n’abandonne jamais quelque soit le tempo, dans le trait le plus effusif, l’émotion juste paraît toujours, cet exactitude magnifiée par un pianiste dont je n’avais jamais soupçonné le génie à l’écoute de ses disques en solo.

C’est merveille pour la Sonate de Rachmaninov, et tout autant pour la grande Sonate tardive de Prokofiev (1949) dont les sfumatos, les fabuleux paysages d’hiver se composent là, sous vos yeux, incarnés avec un naturel déconcertant. Les trois pièces de genre placées en complément font un contrepoint plus léger à ce diptyque parfait, magnifiquement capté de surcroît.

Refermant cet album exemplaire, voilà que m’arrive le troisième opus de Johannes Moser pour Pentatone. Tout ce que Tchaïkovski aura écrit pour violoncelle et orchestre y est collationné, dont la version originale des Variations Rococo jouée avec un archet alerte, quelque chose de désinvolte qui n’est pas vraiment dans la nature du violoncelliste mais correspond bien à ce cahier.

Lyriques à souhait, le Nocturne et l’Andante cantabile se coulent naturellement dans la sourde couleur d’alto de son violoncelle, mais lorsque le Pezzo capriccioso résonne, avec son thème de dumka, une toute autre imagination paraît, phrasés suspendus, accents tendres, archet fluide. Quel art ! Qui se réalise pourtant à un degré supplémentaire dans l’une des plus radicales lectures du Concerto d’Elgar qui est parue depuis l’enregistrement de Jacqueline Du Pré.

Appassionato absolument, emporté, épique, comme mené dans une course sans frein, le chef-d’œuvre ultime d’Elgar s’incarne, ardent, absolu, quasi expressionniste – écoutez seulement les accents déchirants qui parcourent la première partie du second mouvement ! Mais tout cela sans que jamais ni l’archet, ni L’Orchestre de la Suisse Romande, réglé sur les pointes par Andrew Manze décidément chez lui dans le répertoire anglais du XXe siècle, ne pèsent. Chapeau bas !

LE DISQUE DU JOUR

cover moser elgar pentatoneSir Edward Elgar (1857-1934)
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur, Op. 85
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Variations sur un thème rococo en la majeur, Op. 33 (version originale)
Nocturne, Op. 19 No. 4
(version pour violoncelle et orchestre)

Andante cantabile
(version pour violoncelle et cordes)

Pezzo capriccioso en si mineur, Op. 62

Johannes Moser, violoncelle
L’Orchestre de la Suisse Romande
Andrew Manze, direction

Un album du label Pentatone PTC5186570
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cover pentatone moser proko rachmaSergei Rachmaninov (1873-1943)
Sonate pour violoncelle et piano en sol mineur, Op. 19
Vocalise, Op. 34 No. 14
(arr. pour violoncelle et piano)

Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur, Op. 119
Adagio de « Cendrillon » extrait du ballet Op. 87
(arr. pour violoncelle et piano)

Johannes Moser, violoncelle
Andrei Korobeinikov, piano

Un album du label Pentatone PTC 5186594
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Photo à la une : © DR