Bruckner XXI

La défense et l’illustration des Symphonies d’Anton Bruckner fut un combat historique des Berliner Philharmoniker, les archives ont documenté d’abondance les concerts enregistrés depuis l’entre-deux-guerres, sans compter les gravures discographiques. Mais depuis, le visage des symphonies du Maître de St. Florian a changé, les éditions se sont épurées, les urtexts ont paru, le maquis des différents états de chaque symphonie surtout aura dévoilé des œuvres où les repentirs sont aussi innombrables que révélateurs.

De tout cela, les Berliner Philharmoniker ne se sont fait que marginalement l’écho, restant aux versions réputées correctes publiées durant la seconde moitié du siècle passé, on peinerait même à entendre une filiation réelle avec les arcanes stylistiques d’un Furtwängler et même avec les épures expressives d’un Karajan, l’orchestre s’est renouvelé et se laisse conduire par la volonté de relecture des chefs, instrument plus docile qu’on ne veut le croire.

C’est flagrant dans une Première Symphonie dont Seiji Ozawa sculpte avec tendresse les arcanes schubertiennes, se servant de la virtuosité des pupîtres pour susciter une immense musique de chambre alors que Paavo Järvi travaille en aplats les strates sonores de la Deuxième Symphonie, donnant une profondeur de champ sidérante à la pastorale du premier mouvement.

À leur encontre, Bernard Haitink n’impose rien, laisse l’orchestre jouer, sachant que le temps de Bruckner, ses espaces intérieurs, régleront dans une formation si rodée et la balance et l’émotion : la 4e est à ce titre exemplaire, la 5e pas toujours certaine de ses équilibres, le temple vacille parfois.

Mariss Jansons arde tout au long d’une Sixiéme orageuse, assez magique, alors que Christian Thielemann ne peut que céder à son hédonisme devant les si belles cordes des Berlinois, et fait entendre dans la Septième toute la musique de Tristan et Isolde, philtre envoûtant.

Lyrique, nocturne, regardant déjà vers Mahler, Sir Simon Rattle conduit la 9e au bord du précipice, lecture fascinante et radicale qu’aura précédé une 8e dispersée, éteinte, terne, paille majeure de l’ensemble : Zubin Mehta n’est simplement pas là, choix d’autant plus malheureux que les archives de l’orchestre conservent une version anthologique dirigée par Herbert Blomstedt qui offre ici une lecture sidérante de la Troisième Symphonie, un de ses plus grands enregistrements qu’il m’est impossible de caractériser, vous devez l’entendre !

Album soigné comme toujours, le son du Blu-Ray est admirable, les concerts filmés avec art, les bonus où les chefs discutent des œuvres évidemment instructifs. Et pour demain, toutes les Symphonies de Gustav Mahler ?

LE DISQUE DU JOUR

Anton Bruckner (1824-1896)
Berliner Philharmoniker

Symphonie No. 1 en ut mineur, WAB 101 « Linz » (1ere version, 1866)
Seiji Ozawa, direction

Symphonie No. 2 en ut mineur, WAB 102 (2nde version, 1877)
Paavo Järvi, direction

Symphonie No. 3 en ré mineur, WAB 103 (1ere version, 1873)
Herbert Blomstedt, direction

Symphonie No. 4 en mi bémol majeur, WAB 104 « Romantique » (2nde version, 1878–80)
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, WAB 105
Bernard Haitink, direction

Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Mariss Jansons, direction

Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107 (version 1885)
Christian Thielemann, direction

Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108(2nde version, 1890)
Zubin Mehta, direction

Symphonie No. 9 en ré mineur, WAB 109/143
Sir Simon Rattle, direction

Un beau livre-disque au format italien de 9 CD, 1 Blu-Ray Audio et 3 Blu-Ray Vidéo du label Berliner Philharmoniker Recordings BPHR 190281
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Photo à la une : le compositeur Anton Bruckner, poursuivi de quelques critiques de l’époque : Eduard Hanslick, Max Kalbeck et Richard Heuberger – Dessin de Otto Böhler – Photo : © Artemis, Zürich 1995