Le pianiste retrouvé

Dans les années vingt, Nikolai Orlov bluffa les mélomanes londoniens et new-yorkais, virtuose étourdissant formé à la haute école de Safonov et d’Igumnov, chez lui évidemment chez Rachmaninov mais tout autant chez Brahms, Schumann ou Beethoven : le brio de sa technique savait se faire oublier ; loin de vouloir à toute fin briller, il préférait la veine lyrique.

Cette propension à l’absence d’effet est omniprésente dans les gravures qu’il consentit à Decca Londres de 1946 à 1948 et lui aura même dicté le plus tenu, le plus élégant, le moins sollicité des Premier Concerto de Tchaïkovski qui ait paru au 78 tours depuis celui de Vasily Sapelnikov : la direction impériale d’Anatole Fistoulari n’est pas pour peu dans cette interprétation si stylée, dont la virtuosité refuse le tapage jusque dans un Finale tenu, où le clavier ose s’alléger, miracle que seule la grande technique romantique rendait possible : après Orlov viendra le temps des versions du Premier Concerto athlétiques que seule Tatiana Nikolayeva remettra en cause.

Les autres gravures seront consacrées à Chopin, prestes, élégantes, absolument jouées à dix doigts, avec une simplicité, un dédain du rubato, des mains légères mais chantantes, un jeu timbrant sans appui, quelque chose comme une certaine idée d’une perfection de l’interprétation de Chopin.

Ecoutez la pureté des Mazurkas, la légèreté volatile des Etudes, l’élégance des Préludes, la subtilité des césures rythmiques dans la Valse en fa majeur, tout un monde, toute une époque, celle de Friedman, du jeune Rubinstein, qui balance entre une certaine nostalgie du style romantique et la volonté de faire Chopin moderne.

Est-ce vraiment tout ce que l’on a de Nikolai Orlov ? Une Sonate de Beethoven (Op. 31 No. 2) dort encore dans les archives, et il doit bien y avoir quelques témoignages en concert qui prolongeraient les plaisirs de cette découverte.

LE DISQUE DU JOUR

Nikolai Orlov
The Decca Recordings

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol mineur, Op. 23, TH. 55
Frédéric Chopin (1810-1849)
Impromptu No. 1 en la bémol majeur, Op. 29
Fantaisie-impromptu en ut dièse mineur, Op. 66
24 Préludes, Op. 28 (4 extraits : Nos. 3, 6, 11 & 16)
12 Études, Op. 10 (4 extraits : Nos. 4 & 8)
Mazurka en ut dièse mineur, Op. 50 No. 3
Valse en fa majeur, Op. 34 No. 3
Mazurka en fa mineur, Op. 7 No. 3

Nikolai Orlov, piano
National Symphony Orchestra
Anatole Fistoulari, direction

Un album du label Decca 4828710 (Collection « Eloquence Australia »)
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Photo à la une : Le pianiste Nikolai Orlov, avec le compositeur finlandais Jean Sibelius, en 1931, à Ainola – Photo : © DR