Indifférent, le piano de Richard Strauss ? Glenn Gould, qui se régalait à réduire Elektra ou Der Rosenkavalier ne laissa pas de côté la Sonate et les Klavierstücke, y entendant assez de Strauss, et même de ce que Strauss sera.
Guillaume Bellom saisit tout ce que l’Op. 3 doit à Mendelssohn et Schumann, et joue cela admirablement, clavier léger ou tonnant, sens des humeurs, poésie sombre du Largo, c’est senti, et fait sans le côté grand œuvre que Gould voulait, mettant trop les points sur les i. Suggérer est tellement mieux dans ces musiques encore fragiles.
La Sonate, c’est tout autre chose. Strauss s’y amuse du thème de la Cinquième Symphonie, prétexte à des débordements lyriques où son imagination s’engouffre, créant des scènes d’opéras que Gould ardait. Guillaume Bellom les joue avec une passion communicative, fait entendre leur variété, souligne le discontinu mais resserre la structure par des tempos lestes. Le Scherzo est assez fabuleux sous ses doigts de perle, du Mendelssohn ironique ; comme c’est bien vu, et comme il se régale du Finale à force d’élégance, là où Gould ratiocinait un brin.
La merveille est pourtant à venir. Pourquoi ne joue-t-on pas les Stimmungsbilder ? Le petit chemin de forêt qui les ouvre vient tout droit des Waldszenen schumaniennes, Strauss ne s’en cache pas, et Guillaume Bellom, avec art, les fait entendre dans l’harmonie où Strauss les a à peine fardées. Fontaine solitaire peinte comme en rêve (ces pianissimos !), Intermezzo délicieusement joueur, encore Schumann pour une Rêverie un peu Oiseau prophète, et puis le coup de génie, cet Heidebild hanté par un Leiermann échappé du Winterreise.
Strauss avant Strauss, sous des doigts si cultivés, dans l’intellect d’un pianiste si sensible, c’est un peu le paradis.
LE DISQUE DU JOUR
Richard Strauss (1864-1949)
5 Klavierstücke, Op. 3,
TrV 105
Sonate pour piano, Op. 5,
TrV 103
Stimmungsbilder, Op. 9,
TrV 128
Guillaume Bellom, piano
Un album du label Mirare MIR618
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Photo à la une : le pianiste Guillaume Bellom –
Photo : © Jean-Baptiste Millot