Drames sans paroles

Je sais Juliette Journaux cheffe de chant, je la sais aussi avide de transcriptions qui veulent enclore dans le grand meuble ce monde vocal, son pain quotidien et sa passion. Ce que certains savent moins, c’est la formidable pianiste qu’elle est, ce qu’affirme d’emblée le grand son mis au Wanderer de Schubert encore assombri par Liszt.

Comme il sonne profond dans les timbres amples de ce magnifique Steinway « Edward », comme les interrogations et les amertumes de Wotan devant Erda s’y coulent, subtilement retranscrites par la pianiste. Je vois la scène, je vois surtout cet œil laser qui d’un regard englobe la partition verticalement et horizontalement pour la saisir sur le clavier, réduction qu’augmente d’une touche d’âme les libertés de la transcription.

Tout le reste du programme sera revisité par son regard, Schubert le plus secret (sublime Wandrers Nachtlied) mais autant Gustav Mahler, cet hors du monde qui se dévoile dans son plus étreignant Rückert-Lieder, surtout l’ermite esseulé de l’ultime stance de l’Abschied du Chant de la terre, coup de génie qui fait sonner les « Ewig » dans un sfumato de bleus. Elle les joue avec sous les yeux les paysages de Toblach où Mahler les composa.

Merveille qui ne doit pas en cacher une autre, dont la « transcriptrice » s’absente pour laisser place à la seule pianiste. Retour à Schubert : ces Klavierstücke qui chantent et tonnent disent assez à quelle musicienne vous aurez à faire.

LE DISQUE DU JOUR

Wanderer Without Words

Franz Liszt (1811-1886)
12 Lieder von Franz Schubert, S. 558 – version pour piano seul (extrait : No. 11. Der Wanderer)
Richard Wagner (1813-1883)
Siegfried, WWV 86C, Act III Scene 1 – „Mein Schlaf ist Träumen“ (arr. pour piano seul : Journaux)
Franz Schubert (1797-1828)
3 Klavierstücke, D. 946
Schwanengesang, D. 957 (extrait : No. 6. In der Ferne ; version pour piano seul : Journaux)
Wandrers Nachtlied, D. 768 (version pour piano seul : Journaux)
Gustav Mahler (1860-1911)
Rückert-Lieder (extrait : No. 4. Ich bin der Welt abhanden gekommen; version pour piano seul : Journaux)
Das Lied von der Erde (No. 6. Der Abschied; version pour piano seul : Wöss, Journaux)

Juliette Journaux, piano

Un album du label Alpha Classics 984
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Photo à la une : la pianiste Juliette Journaux – Photo : © Olivier Lalane