Nocturne

Philippe Bianconi revient à son cher Ravel dont il avait déjà gravé l’intégrale de l’œuvre pour piano seul sous l’écoute bienveillante de Suzanne et René Gambini voici bien trente ans. Un vaste soleil illuminait alors son jeu, Ravel en lumière, joué assez dandy, alliant à une beauté toute classique quelques traits proustiens : on croyait voir le compositeur tiré à quatre épingles dans chaque note de sa musique.

Il ajoute aujourd’hui, en accord avec Clément Lefebvre, la suite de Ma mère l’Oye qui manquait à son album Lyrinx. Le dialogue très sombre de La Belle et la Bête signale illico que les portes d’un autre univers se sont ouvertes : ce Ravel-là sera d’abord celui du Gibet, de Scarbo, d’Ondine, l’envers teinté d’un brin de fantasque du rayonnement solaire que le pianiste y avait jadis entendu.

Les Miroirs sont tendus, sombres, presqu’amers (Une barque sur l’océan avec cette main gauche obstinée avant le retour du ressac), étranges d’atmosphères non seulement pour Oiseaux tristes, pour la fantasmagorie de Noctuelles, pour l’Alborada mêlant l’ironie à une certaine tristesse, pour La Vallée des cloches aussi, si nostalgique.

Et si le vrai visage de Ravel paraissait dans ce piano qui fut l’instrument de son quotidien ? Inquiet, intranquille, splénétique tout au long d’un Gaspard de la nuit où même Ondine a un côté Loreley. Jusqu’au Tombeau de Couperin qui ne renonce pas à l’espressivo, voyant derrière les danses, au travers de l’esseulement de la Fugue les visages des disparus, jusqu’aux Valses nobles et sentimentales, vénéneuses, emplis de parfums de tubéreuse : dans l’ultime page, un opium semble rendre immatériels et la musique de Ravel et le jeu du pianiste – onirisme trouble au possible.

Les petites pièces tardives ou pas, Menuets, Pavane, et hommages « dans le style de », le bref Prélude troublant comme un regret, sont jouées avec un sens de la nuance, du phrasé juste qui les hissent au rang de chefs-d’œuvre. Sommet de l’ensemble, si je ne devais en choisir qu’un : la Sonatine. Écoutez comment Philippe Bianconi fait sourdre les ombres, ose le cri qui saisit soudain au centre du Modéré.

Et maintenant, il faut que La Dolce Volta lui offre l’occasion d’enregistrer les deux Concertos.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
L’Œuvre pour piano (Intégrale)

Philippe Bianconi, piano
Clément Lefebvre, piano
(Ma mère l’Oye, version à quatre mains)

Un album de 2 CD du label La Dolce Volta LDV 109.0
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Photo à la une : le pianiste Philippe Bianconi –
Photo : © William Beaucardet