L’ombre de Rostropovitch

Mstislav Rostropovitch avait couplé Tout un monde lointain… avec le Concerto de Witold Lutosławski, œuvres composées peu ou prou parallèlement (elles seront toutes deux créées en 1970) et destinées à l’archet du violoncelliste russe. Plutôt que de reprendre à l’identique le couplage mythique des deux œuvres enregistrées en 1974 par leur inspirateur, Serge Baudo, Witold Lutosławski et l’Orchestre de Paris, Edgar Moreau décale le sujet de son disque.

Toujours deux œuvres créées par Rostropovitch, mais dont les premières auditions sont distantes de treize années. L’occasion était trop belle d’enregistrer le Concerto de Mieczysław Weinberg dont les gravures se comptent désormais sur les doigts d’une seule main. Ce sera la révélation de l’album, le jeune violoncelliste en savourant les thèmes nostalgiques, pétris d’échos de musiques judaïques, trouvant derrière la relative consonnance du matériau – l’œuvre fut en fait écrite durant les années de purge formaliste, et demeura longtemps sous le boisseau – le lyrisme têtu d’un compositeur qui refusait de se plier au diktat esthétique soviétique, ce que la direction ample et éloquente d’Andris Poga souligne avec art.

L’enchaînement avec la divagation onirique de l’ouvrage de Dutilleux produit un inévitable hiatus. La lecture séquentielle, caractérisant chacune des cinq « poèmes », en faisant autant de mondes en soi, sacrifie trop la coulée sous opium, l’irréel voyage dans des ailleurs sonores que Victor Julien-Laferrière et David Robertson ont si généreusement distillés (voir ici).

Affaire de timbres aussi, la radiance manque aux vents et aux percussions de l’Orchestre de la WDR, mais pas la précision, ni la présence. C’est l’archet torturé, expressionniste d’Edgar Moreau que je suis pas à pas, m’inclinant devant une conception d’abord concertante. À mon sens, elle réduit la puissance poétique de ce chef-d’œuvre, mais faites-vous votre opinion, vous déjugerez peut-être mon écoute, et puis ne serait-ce que par le Concerto de Weinberg, l’album s’impose.

LE DISQUE DU JOUR

Henri Dutilleux (1916-2013)
Tout un monde lointain…
Mieczysław Weinberg (1919-1996)
Concerto pour violoncelle et orchestre en ut mineur, Op. 43

Edgar Moreau, violoncelle
WDR Sinfonieorchester Köln
Andris Poga, direction

Un album du label Erato 5054197489334
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Photo à la une : le violoncelliste Edgar Moreau – Photo : © DR