Scènes tragiques

La part la moins courue du catalogue sibélien ? Ses mélodies, souvent en langue suédoise et dans le strict habillage original d’un piano elliptique n’ont guère franchi les frontières de Finlande, sinon l’énigmatique et visionnaire Luonnotar, non pas une mélodie, mais un poème en style déclamatoire avec orchestre.

L’orchestre est bien ce qui manque ici, Sibelius en fut avare (Marianne Beate Kielland en choisit cinq dans l’instrumentation de l’auteur, elle aussi minimaliste, dont quatre pour prélude à son disque), Jussi Jalas les romantisera d’un écrin symphonique un peu convenu (sa proximité familiale lui interdisait probablement d’aller plus loin), idem pour les travaux de Simon Parmet, Kim Borg, Ivar Hellman et même pour la contribution de Colin Matthews (Men min fagel märks dock icke).

On atteint à un tout autre univers avec les réinterprétations vertigineuses proposées par Ernest Pingoud, ce génie de la nouvelle musique finlandaise, qui projette les trois opus où il aura mis son orchestre dans un autre monde. Touche subtile, tonalité fuyante, art de l’estompe et des suspensions, dont Petr Popelka fait son miel.

La vraie merveille du disque, outre un orchestre caméléon, c’est bien la mezzo-soprano. La proclamation de Höstkväll, qui ouvre l’album, avec ses aigus poignards, dévoile un timbre et un grain idéalement appariés à cet univers, le sens souvent tragique des poèmes est magnifiée par cette diseuse subtile qui ne craint aucun des écarts d’une écriture piégeuse.

Sommet de l’album, En stända (où parait l’orchestration la plus osée tentée par Jussi Jalas), la vocalise étrange adressée à la libellule, l’atmosphère irréelle de cette petite scène devraient la faire compter au nombre des chefs-d’œuvre de son auteur, surtout défendue par une aussi belle chanteuse qui me laisse un regret : qu’elle n’ait pas ajouté à ce récital trop court Luonnotar : toute mezzo qu’elle soit, elle en a les aigus !

LE DISQUE DU JOUR

Jean Sibelius (1865-1957)
Höstkväll, Op. 38 No. 1
På verandan vid havet,
Op. 38 No. 2
I natten, Op. 38 No. 3
Se’n har jag ej frågat mera,
Op. 17 No. 1
Sov in!, Op. 17 No. 2
(orchestration Pingoud)
Fågellek, Op. 17 No. 3
(orchestration Pingoud)
En slända, Op. 17 No. 5 (orchestration Jalas)
Illalle, Op. 17 No. 6 (orchestration Jalas)
Lastu lainehilla, Op. 17 No. 7 (orchestration Jalas)
Svarta rosor, Op. 36 No. 1 (orchestration Parmet)
Men min fågel märks dock icke, Op. 36 No. 2 (orchestration Matthews)
Säv, säv, susa, Op. 36 No. 4 (orchestration Borg)
Marssnön, Op. 36 No. 5 (orchestration Jalas)
Demanten på marssnön, Op. 36 No. 6
Den första kyssen, Op. 37 No. 1 (orchestration Hellman)
Soluppgång, Op. 37 No. 3
Var det en dröm?, Op. 37 No. 4 (orchestration Jalas)
Flickan kom ifrån sin älsklings möte, Op. 37 No. 5 (orchestration Pingoud)

Marianne Beate Kielland, mezzo-soprano
Orchestre symphonique de la Radio norvégienne
Petr Popelka, direction

Un album du label LAWO Classics LWC1239
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Photo à la une : la mezzo-soprano Marianne Beate Kielland –
Photo : © Liv Oevland