Dans l’avant-dernière de ses Elf Humoresken, Lied im Träume, Jörg Widmann cite un bref fragment du thème des Geistervariationen, dont Schumann rapportait qu’il lui avait été dicté en songe par des anges.
Quelle œuvre, expansive, spectaculaire et fantasque, d’une générosité d’écriture, d’une finesse d’invention qui suffiraient à prouver les affinités électives entre les univers de Widmann et Schumann. Elle éclaire le profil si singulier du premier dans le paysage de la création contemporaine.
Aaron Pilsan s’y montre fabuleux pianiste, certes, mais d’abord un conteur d’une puissance suggestive fascinante. Le caractère expansif de son jeu, déjà si sensible dans les Préludes de son enregistrement du Clavier bien tempéré (voir ici) fait exploser les visions et les fantaisies accumulées par Widmann dans ce carnaval tourbillonnant, comme les éclats d’un Florestan d’une énergie inextinguible.
Le plus incroyable est qu’à l’inverse c’est Eusebius qu’Aaron Pilsan fait chanter avec une nostalgie étreignante au long de Kreisleriana belles à pleurer, où la silhouette fantasque du chef d’orchestre brossée par Hoffmann paraît également, plus distanciée pourtant.
Affaire de plénitude : ce clavier large et profond saisit toute l’ampleur des polyphonies schumaniennes, et sait faire chanter leur part la plus sombre. Est-ce une mise en abîme, dès Kreisleriana, pour mieux nous conduire vers le dénuement des Geistervariationen, jouées ici comme si elles étaient la musique de la fin du monde (à laquelle n’auraient manqué pour postlude que les Chants de l’aube, le disque aurait pu les accueillir) ? En tous cas, ce jeune homme pas encore trentenaire se révèle, album après album, comme l’un des pianistes majeurs de sa génération.
LE DISQUE DU JOUR
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Thème et Variations en
mi bémol majeur, WoO 24
« Geistervariationen »
Jörg Widmann (né en 1973)
Elf Humoresken
Aaron Pilsan, piano
Un album du label Alpha Classics 896
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Photo à la une : le pianiste Aaron Pilsan – Photo : © Harald Hoffmann