Hoffmannia

Objet du disque, le trio douloureux des Schumann et de Brahms croirait-on ? La lecture splendide de Kreisleriana osée par Benjamin Grosvenor, si sentie, ponctuée de vertigineux pianissimos et d’emportements exaltés, rend le concept secondaire.

Dans un disque aussi généreux (85 minutes), je ne peux quitter ces Kreislariana où se mêlent intimement le fantasque et la méditation, comme seul l’aura tenté jusque-là Claudio Arrau (il y a des semblances même dans la nature du son), j’y reviens sans cesse, malgré les beautés du Blumenstück, le ton de chant de gondolier que Benjamin Grosvenor imprime à la seconde des Romances Op. 28, la délicatesse, le ton amoroso du Quazi Variazioni de la Troisième Sonate, le songe crépusculaire de l’Abendlied.

Ah !, Schumann a trouvé un alter ego chez le jeune pianiste anglais qui y raffine son art, mais il l’aura exalté d’abord dans Kreisleriana, se gardant de tous effets, allant au cœur des portées que le musicien aura déduites d’Hoffmann, contes fantastiques jusqu’à l’étrange – ce que fait entendre un jeu à dix doigts d’une aisance folle, fluide, fascinante.

Face à celles de son mari, les Variations de Clara Wieck sur un thème de celui-ci, aussi modestes soient-elles, sont transfigurées par une lecture émue, souvent à la limite de la douleur.

Coda chez Brahms, le sfumato des Intermezzi, Op. 117 semble venir d’un autre monde, caressé dolce par des mains ineffables, poésie de clavier qui atteint à l’irréel. Quel disque !

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Romance en fa dièse majeur, Op. 28 No. 2
Blumenstück, Op. 19
Sonate pour piano No. 3 en fa mineur, Op. 14 (extrait : III. Quasi variazioni (Andantino de Clara Wieck)
Abendlied (No. 12, extrait des « 12 Klavierstücke für kleine und große Kinder, Op.85 » ; arr. Grosvenor)
Clara Schumann-Wieck (1819-1896)
Variations sur un thème de Schumann, Op. 20
Johannes Brahms (1833-1897)
3 Intermezzi, Op. 117

Benjamin Grosvenor, piano

Un album du label Decca 4853945
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Photo à la une : le pianiste Benjamin Grosvenor – Photo : © Andrej Grilc