Le piano dans la forêt

Une curiosité, le Premier Quatuor avec piano de Johannes Brahms, médiocrement enregistré par Electrola le 9 septembre 1939, voit Edwin Fischer bien seul face aux trois membres du Quatuor Breronel, trois archets en petit son et en grand vibrato, alors que lui voudrait des tempêtes ! C’est la part la plus oubliable de sa discographie (d’ailleurs ensemble, ils graveront aussi le Quatuor K. 478 de Mozart, jamais ressuscité des archives, j’en subodore la raison), mais elle ne doit pas vous détourner de ce coffret qui contient le plus sublime ensemble jamais gravé par Edwin Fischer, le sommet de sa discographie, ses faces Schubert.

Mais restons à Brahms. Une Troisième Sonate mercurienne aura posé pour longtemps un modèle auquel Claudio Arrau confiait s’être abreuvé, et aussi quelques pièces des Opus 79, 117, 118, Intermezzi, Ballade, Rhapsodie en sol mineur surtout, font des paysages inouïs, vrai piano d’ondes sonores, et nous laissent pleurer tout ce qu’il n’aura pas enregistré du piano de Brahms, les Variations Haendel au premier chef. Fantaisie de Schumann stupéfiante, emplie par l’ombre de Beethoven, avec un Finale hors du monde, purement métaphysique.

Puis Schubert, Moments musicaux comme coulés d’un paysage imaginaire, on croirait le piano posé dans une forêt, prélude à la version majeure, et à vrai dire jamais égalée, des Impromptus, même par Artur Schnabel. Liquidité irréelle du clavier dans l’Impromptu en la bémol majeur, chant ténu, comme venu du lointain dans l’Impromptu en ut mineur (on voit les musiciens s’approcher à mesure par le chemin), tendresse désarmante, si amoroso de celui en si bémol majeur, avec ses variations dorées, avant l’un des plus saisissants enregistrements de piano de toute l’histoire du disque, l’Impromptu en fa mineur dansé comme un furiant, dont la coda porte une hallucination.

Formidable qu’ensuite éclate la proclamation de la Wanderer-Fantasie, voyage épique qui subjugue. Inusables sillons pour l’éternité.

LE DISQUE DU JOUR


Brahms, Schubert
& Schumann

The Complete Studio
Recordings, 1934-1950

Johannes Brahms
(1833-1897)
Quatuor pour piano et cordes No. 1 en sol mineur, Op. 25
Vittorio Brero, violon –
Rudolf Nel, alto – Theo Schürgers, violoncelle

Sonate pour piano No. 3 en fa mineur, Op. 5
Intermezzo en si bémol mineur, Op. 117 No. 2
Ballade en sol mineur, Op. 118 No. 3
Intermezzo en mi bémol majeur, Op. 117 No. 1
Rhapsodie en sol mineur, Op. 79 No. 2
Robert Schumann (1810-1856)
Fantaisie en ut majeur, Op. 17
Franz Schubert (1897-1828)
6 Moments musicaux, D. 780
4 Impromptus, Cahier I, D. 899
4 Impromptus, Cahier II, D. 935
Fantaisie en ut majeur, D. 760 « Wanderer »

Edwin Fischer, piano

Un album de 3 CD du label APR7314
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Photo à la une : le pianiste Edwin Fischer – Photo : © DR