Corelli

« Un Franco Corelli qui aurait mangé du Jonas Kaufmann au petit déjeuner », voilà comment Camille de Rijck, avec son sens inné de la formule, saluait les premiers pas sur la scène de l’Opéra de Lille, d’un jeune ténor chilien de naissance, états-unien d’éducation et au patronyme à consonance germanique, qui rappelle qu’il fut un enfant adopté.

Le destin s’en est mêlé, et la voix surtout, exactement ce que décrit par boutade Camille de Rijck, l’ardeur au mot, les lignes fusantes rappellent le plus sexy des ténors, Franco Corelli (pour ne rien dire du physique), mais la couleur est centrée, sombre, portée par une fabuleuse colonne d’air comme l’est celle de Jonas Kaufmann. C’est que jeune homme, Tetelman était absolument baryton, mais son élan naturel le poussait vers l’expansion lyrique et expressive innée aux ténors. Conversion il y eut, qui le fit douter, abandonner le chant pour les discothèques de New York où il se tailla une belle réputation de DJ.

Mais heureusement le vers était dans le fruit, et ténor il devint, fabuleux dès que l’italien vient envoler ses consonnes, alors vraiment oui c’est pour la générosité, l’ardeur à se brûler, l’élan des mots, le souvenir de Franco Corelli qui s’impose, pour Andrea Chénier, Maurizio (sublime « La dolcissima effigie sorridente »), Turiddu, et évidemment Manrico : son « Di quella pira » incendiaire est déjà historique. Mais que Werther paraisse, et c’est l’ombre de Kaufmann qui s’impose.

Sommet d’un album particulièrement soigné – orchestre inspiré par une direction expressive, belle prise de son, choix éclairé du répertoire – les deux scènes de la Francesca da Rimini de Zandonai, avec une Francesca bouleversante, et en parité avec son Paolo il Bello pour le rayonnement vocal : Vida Miknevičiūtė, soprano absolument à suivre.

C’est l’avantage de saisir un artiste à ses débuts, lorsque pour se faire un chemin vers la scène il doit oser des emplois rares. Heureusement pour son Paolo, l’image se joint au son dans la parfaite mise en scène de Christof Loy filmée au Deutsche Oper de Berlin : cette beauté ténébreuse ne s’oublie plus sous la direction inspirée de Carlo Rizzi, où il séduit une autre magnifique Francesca, Sara Jakubiak : décidément le chef-d’œuvre de Zandonai est chanceux !

LE DISQUE DU JOUR

Arias
Airs et scènes, extraits d’ouvrages d’Amilcare Ponchielli (La Gioconda), Umberto Giordano (Fedora, Andrea Chenier), Giuseppe Verdi (I due Foscari), Friedrich von Flotow (Martha), Georges Bizet (Carmen), Francesco Cilèa (Adriana Lecouvreur), Giuseppe Verdi (La forza del destino, Il trovatore), Riccardo Zandonai (Francesca da Rimini), Jules Massenet (Werther), Pietro Mascagni (Cavalleria rusticana), Giacomo Puccini (Madama Butterfly)

Jonathan Tetelman, ténor

Vida Miknevičiūtė, soprano (Zandonai, Francesca da Rimini ; Verdi, Il trovatore)
Magdalena Łukawska, soprano (Mascagni, Cavalleria rusticana)
José Simerilla Romero, ténor (Verdi, Il trovatore)
Capella Cracoviensis (Zandonai, Francesca da Rimini ; Verdi, Il trovatore)

Orquesta Filarmónica de Gran Canaria
Karel Mark Chichon, direction
Un album du label Deutsche Grammophon 4862927
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Riccardo Zandonai
(1883-1944)
Francesca da Rimini, Op. 4

Sara Jakubiak, soprano (Francesca)
Jonathan Tetelman, ténor (Paolo il Bello)
Ivan Inverardi, baryton
(Giovanni lo Sciancato)
Charles Workman, ténor (Malatestino dall’Occhio)

Chor und Orchester der Deutschen Oper Berlin
Carlo Rizzi, direction
Christof Loy, mise en scène

Un DVD du label Naxos 2.110711
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Photo à la une : le ténor Jonathan Tetelman – Photo : © Ben Wolf/Deutsche Grammophon