Madeleine

À la maison, durant mon enfance, Vivaldi c’était I Musici. Derrière le geste serein, les couleurs diaprées, les phrasés élégants et toujours expressifs, une certaine nostalgie emplissait jusqu’au plus festif des concertos. Affaire d’effectif. Les onze archets et le clavecin pensaient d’abord en chambristes même dans les plus vifs élans, et touchaient au cœur par un raffinement poétique, une nuance d’ensemble qui surprendra tout jeune mélomane s’aventurant ici, habitué qu’il est au Vivaldi d’aujourd’hui, bodybuildé à coups de potentiomètre et rendu à ses couleurs d’époque, fatalement plus chatoyantes, mais plus profondes ?

Pour la musicalité, le sentiment, en fait pour la poésie, je ne suis pas certain qu’I Musici fut un jour supplanté, aussi revenir à leur Vivaldi, et même aux premiers microsillons avec Felix Ayo et Roberto Michelucci, c’est retrouver tout l’esprit du renouveau discographique du Prêtre Roux.

Car en leur temps ils firent révolution. Vivaldi était entendu au travers du prisme classique de Corelli par leurs prédécesseurs au disque, Renato Fassano à Rome et Angelo Ephrikian à Milan n’hésitant pas à l’interpréter avec des formations élargies flirtant avec l’orchestre Mozart.

L’ensemble I Musici, figure emblématique du label Philips de la fin des années 1950 au début des années 1980, devant le Castel Sant’Angelo à Rome – Photo : © Decca Records

Soudain I Musici ôtait le vernis, faisant entrer l’air de la lagune et les couleurs de Tiepolo, tout Romains qu’ils fussent. Remy Principe, leur professeur à l’Accademia di Santa Cecilia, avait insisté pour qu’ils restent en nombre limité, ce que les autres acteurs du « Vivaldi revival » des Trente Glorieuses, Claudio Scimone et ses Solisti Veneti, respectèrent infiniment moins avec leur principe fluide de géométrie variable. Principe leur avait aussi intimé le devoir de fouiller Venise en dehors de Vivaldi et Rome en dehors de Corelli, puis de pousser jusqu’à Naples.

Les douze amis l’exauceront, enregistrant des lectures éclairantes d’Albinoni, Manfredini, Torelli, Alessandro Scarlatti, Locatelli, Geminiani, la plus audacieuse de leurs échappées belles restant une pincée de Concertos tirés de La Cetra de Marcello.

Tout ceci est réuni dans ce grand coffret aussi somptueux qu’inespéré, placé sous Les Quatre saisons et Les Quatre éléments de Giuseppe Arcimboldo qui en illustrent la boîte, jusqu’aux Corelli trop oubliés, aux Concerti grossi de Haendel inutilement méprisés, aux Sonates de Rossini, à leur Bach solaire et fluide, à leur Mozart, à leur Mendelssohn, et jusqu’aux Danses roumaines de Béla Bartók.

Fil rouge mouvant (et touchant au son même de la petite bande), les premiers violons, avec au sommet l’élan audacieux que l’archet du jeune Salvatore Accardo, au milieu des années 1970, leur inspira. Allez, perdez-vous dans leur Italie.

LE DISQUE DU JOUR

I Musici
Complete Analogue Recordings, 1955-1979
The Philips Legacy

I Musici

Un coffret de 83 CD du label Decca 4626240
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Photo à la une : l’ensemble I Musici – Photo : © Decca Records