Tropisme Strauss

Déjà en ses années à Birmingham, Andris Nelsons avait constitué une anthologie Strauss, manière d’avouer dans une génération où tant de ses collègues auront choisi de se vouer en premières noces aux œuvres de Gustav Mahler, une dilection singulière pour un autre orchestre-monde.

Comme pour les gravures avec Birmingham, tout ici est pris en concert, avec les quelques scories naturelles d’une baguette qui ne compte pas parmi les plus virtuoses, son art excusant ceci. Curiosité supplémentaire, cette vaste anthologie à laquelle ne manquent guère côté grandes partitions que La Légende de Joseph (Giuseppe Sinopoli lui-même ne la méprisait pas, profitant des somptuosités de la Staatskapelle de Dresde et la gravant pour l’étiquette jaune) et le Bürger als Edelmann, se partage entre Boston et Leipzig, le texte de présentation essayant de tenir les deux bouts de la chandelle en prêtant à Boston une tradition straussienne aussi naturelle que celle du Gewandhaus.

À Boston donc les deux grandes symphonies à tintamarre dont Nelsons apure les polyphonies et bride les effets, un peu trop pour l’Alpestre, magnifique de couleurs mais à l’orage générique, alors que la Domestica est plus d’une fois touchante, et quel formidable charivari final !, qu’on retrouvera, gonflé par l’orgue d’Olivier Latry dans le Festliches PräludiumNelsons semble se souvenir de Karl Böhm. Sommet des captations à Boston, Don Quixote, où Yo-Yo Ma est le personnage ; bémol en revanche pour les pièces tirées des opéras.

À Leipzig, tout est simplement extraordinaire, le métal des attaques, la sombre clarté si célèbre du Gewandhaus, l’exaltation d’une phalange portée par un quatuor enflammé emporte un Zarathoustra d’anthologie (Böhm encore n’est pas loin derrière ce geste si cerné), transfigure l’épopée d’Ein Heldenleben, fait le conte sombre de Macbeth beau comme un opéra sans voix, exulte les paysages d’Aus Italien jusqu’au technicolor, pour mieux s’adonner dans Don Juan, dans la Danse des Sept Voiles, à un érotisme inquiétant. Formidable Yuja Wang pour un Burleske entre nostalgie et fantaisie, puis ces Metamorphosen éperdues, si proches soudain des ultimes Quatuors de Beethoven.

LE DISQUE DU JOUR

Richard Strauss (1864-1949)
Danse des 7 voiles (extrait de « Salome, Op. 54, TrV 215 »)
Der Rosenkavalier – Suite de concert, WoO 145, TrV 227d
Schlagobers Suite, TrV 243a (extrait : IV. Schlagoberswalzer)
Don Juan, Op. 20, TrV 156
Burleske*, TrV 145
Also sprach Zarathustra, Op. 30, TrV 176
Macbeth, Op. 23, TrV 163
Ein Heldenleben**, Op. 40, TrV 190
Metamorphosen, TrV 290
Aus Italien, Op. 16, TrV 147
Festliches Präludium***, Op. 61, TrV 229
*Yuja Wang, piano – **Frank-Michael Erben, violon – ***Olivier Latry, orgue – Gewandhausorchester Leipzig

Vier sinfonische Zwischenspiele aus Intermezzo, TrV 246a
Feuersnot, Op. 50, TrV 203 (extrait : Scène d’amour)
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171
Don Quixote*, Op. 35, TrV 184
Eine Alpensinfonie, Op. 64, TrV 233
Tod und Verklarung, Op. 24, TrV 158
Sinfonia Domestica, Op. 53, TrV 209
Symphonische Fantasie aus “Die Frau ohne Schatten”, TrV 234a
*Yo-Yo Ma, violoncelle – *Steven Ansell, alto – Boston Symphony Orchestra
Andris Nelsons, direction

Un coffret de 6 CD du label Deutsche Grammophon 4862040
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Photo à la une : le chef d’orchestre Andris Nelsons – Photo : © DR