Révolution Pelléas

Lorsque Roger Désormière enregistra en pleine occupation allemande Pelléas et Mélisande, il fixa une vérité philologique du « son Debussy », clarté aiguisée des timbres, tempos vifs. Ouvrant la partition de Debussy, François-Xavier Roth voulait restituer cette vérité première : Pelléas et Mélisande n’est pas cette brume sonore qu’on distille trop souvent, mais un drame de meurtre dont l’orchestre est absolument moderne, ce qui n’exclut pas le mystère.

Les timbres des Siècles restituent la poésie des alliages instrumentaux inouïs qui émaillent les cinq actes (Debussy reste fidèle en cela au modèle structurel de la tragédie lyrique, d’autres affinités électives pourraient être soulignées), travail remarquable mais qui me semble surpassé encore par la mise au net de la prosodie et l’incarnation des chanteurs.

La Mélisande terrifiée de Vannina Santoni, dès son « Ne me touchez pas » donne le ton : elle a vraiment fui les horreurs du château de Barbe-Bleue, ce qui s’entend dans le rythme exact noté par Debussy auquel trop souvent les sopranos ne prêtent guère attention. Un exemple parmi tant d’autres du souci d’exactitude porté à chaque détail au long de cette relecture éclairante.

Sans aucune licence, d’une rigueur implacable, François Xavier-Roth et ses chanteurs serrent le texte de Debussy au plus près. Comment expliquer alors qu’il semble si libre jusque dans son urgence ? C’est que le drame, vécu par les chanteurs dans la mise en scène de Daniel Jeanneteau (le spectacle a été donné sans la présence du public, pandémie oblige), dévore tout.

Admirable, la leçon de chant de Marie-Ange Todorovich, dont le timbre comme les mots avouent l’âge de Geneviève, désarmant et troublant l’Yniold d’Hadrien Joubert, impeccable Médecin de Damien Pass, jusqu’aux quelques paroles du Berger selon Mathieu Goubert, dans son éloignement, qui tombent et sonnent justes.

La mode est aux Pelléas ténors, ce n’est pas moi qui m’en plaindrais, fasciné par l’incarnation virile posée une fois pour toutes par Eric Tappy dans l’enregistrement d’Armin Jordan. Après l’amoureux solaire campé par Stanislas de Barbeyrac pour Pierre Dumoussaud à Bordeaux (Alpha, loué ici), Julien Behr propose un Pelléas plus sombre, affaire de timbre certes mais de poids des mots aussi. Face à la Mélisande tétanisée, géniale absolument à force de terreur immanente, de Vannina Santoni, ses envols de la scène du parc se teintent d’une dimension suicidaire, irrésistible.

L’Arkel clairvoyant, désespéré de Jean Teitgen offre un modèle de chant noble fascinant, où les mots prennent toute leur valeur philosophique. Et Golaud ? Comme pour Pierre Dumoussaud, Alexandre Duhamel est la simplicité même, il est le personnage, n’a pas besoin d’adjuvants psychologiques, la justesse de son chant comme de son incarnation ressuscitent la perfection stylistique et la profondeur humaine posées une fois pour toutes par Henri Etcheverry pour l’enregistrement de Roger Désormière. Sortant d’un si beau Pelléas, je m’en vais réécouter celui que je crois bien être son modèle.

LE DISQUE DU JOUR

Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande

Vannina Santoni, soprano (Mélisande)
Julien Behr, ténor
(Pelléas)
Alexandre Duhamel,
baryton (Golaud)
Marie-Ange Todorovitch, mezzo-soprano (Geneviève)
Jean Teitgen, basse (Arkel)
Damien Pass, baryton-basse (Le médecin)
Hadrien Joubert, soprano enfant (Yniold) de la Maîtrise de Caen
Mathieu Gourlet, basse (Un berger)

Chœur de l’Opéra de Lille
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction

Un livre-disque de 3 CD du label harmonia mundi HMM 905352.54, aux notices éclairantes, agrémenté de photos de la mise en scène de Daniel Jeanneteau
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Photo à la une : © DR