Victoire continentale

Etrange de recevoir ce disque quelques jours après la disparition tragique de Nelson Freire.

En 1965, Martha Argerich remportait le Premier Prix du Concours Chopin, elle avait subjugué le jury – où figuraient Eugene List, Magda Tagliaferro, František Rauch ou Yakov Flier en dehors du gratin des pianistes polonais – par la liberté de son inspiration, la perfection de son jeu qui lui rendait toute prise de risques indolore. Mais un jeune pianiste brésilien séduisait également le public : Arthur Moreira Lima. Son tempérament fantasque, la beauté de sa sonorité, mais un rien de trac lui firent céder la place à la belle argentine. Peu importe, l’Amérique du Sud avait remporté le Concours Chopin. Pour Arthur Moreira Lima, Chopin deviendrait même son compositeur d’élection, on ne sait pas assez qu’il a admirablement gravé tous les grands cycles pour un éditeur brésilien, somme magnifique qui n’a jamais vraiment franchi l’Atlantique.

L’entendre jouer le Deuxième Concerto avec tant de panache – et un peu de dispersion dans un Finale où le trac lui fait faire quelques faux doigts – est un plaisir contagieux qui plaide pour que l’Institut Chopin édite les autres enregistrements de ses épreuves. Mais comment ne pas entendre dès l’entrée ombrée de nostalgie du piano de Martha Argerich dans le mi mineur, l’abîme de qualité qui s’ouvre entre les deux amis, pour le son, l’imagination, la réalisation ?

Retrouver cette captation légendaire enfin éditée d’après les bandes originales est un saisissant voyage à rebours du temps, et dire que Nelson Freire n’aura pu l’entendre dans une telle clarté de son, un crève-cœur. Direction parfaite de Witold Rowicki pour chacun des deux opus, légère et évocatrice, vive et poétique, il sait ne pas faire sonner lourd l’orchestre de Chopin, c’est assez rare pour ne pas le souligner.

L’édition est somptueuse, vrai petit livre de soixante-dix pages regorgeant de photographies prises lors des épreuves, et puis quelle jolie idée de publier les croquis des finalistes ! Celui de Martha, signé par le fameux caricaturiste Edward Alaszewski, est simplement à fondre !

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi mineur, Op. 11*
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa mineur, Op. 21**

*Martha Argerich, piano
**Arthur Moreira Lima, piano
Orchestre Philharmonique de Varsovie
Witold Rowicki, direction
Enregistrements réalisés lors du Concours Chopin, le 12 mars 1965

Un album du label de l‘Institut Chopin de Varsovie NIFCCD637
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Photo à la une : Martha Argerich, à l’issue du Concours, le 15 mars 1965, en interview – Photo : © Institut Chopin